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Mais le moraliste, en M. Dumas, ne devait pas se laisser faire sa part. Ce n’était pas assez, après avoir permis que la Dame aux camélias mourût, d’avoir tué Paul Aubry ; après avoir une fois mené le deuil de la passion vaincue en duel par la société, ce n’était pas assez de l’avoir, une autre fois, abandonnée sur place ; après avoir pleuré la victime, de l’avoir regardée d’un œil sec : il fallait la déshonorer. Le censeur ne pouvait à moins de frais être quitte de sa tâche. Après avoir constaté à regret le triomphe de la nécessité, après l’avoir constaté sans commentaire, il fallait le justifier. Nécessité douloureuse, nécessité sans épithète, nécessité adorable et bonne, à qui des autels doivent se dresser, voilà les trois déesses que M. Dumas devait honorer chacune à son tour, et la dernière n’a pas reçu le moins souvent ses hommages. A Marguerite Gautier devait succéder Suzanne d’Ange ; à Diane de Lys, la comtesse de Terremonde et la femme de Claude. La passion, chez celles-ci, n’est plus malheureuse, elle est mauvaise ; elle n’est plus destinée seulement à l’infortune, mais à la honte ; elle ne condamne plus seulement les êtres à qui elle s’attache, mais elle les condamne avec justice. L’Ami des femmes et la Visite de noces donnent la formule de l’amour adultère : — ô Antony, n’écoute pas ! — Ce n’est plus seulement un breuvage mortel, mais un breuvage dégoûtant ; un poison tiré des fleurs, mais un élixir de boue. Quiconque y trempe ses lèvres est marqué désormais, non plus d’une brûlure, mais d’une lèpre ; il porte sa qualité sociale gravée sur le visage, et qui abolit aussitôt ce qu’il pouvait avoir de personne humaine : amant on maîtresse, ce n’est plus un homme ni une femme, mais un objet de scandale désigné par le censeur pour être retranché de la société ; — voilà le régime établi dans ce théâtre de la Loi !

Cependant quel est cet homme qui tombe transpercé d’un coup d’épée ? C’est le duc de Septmonts, un mari : sa mort ensanglante la dernière pièce de M. Dumas, ou du moins l’avant-dernière, celle où, de son aveu même, il a mis les enseignement suprêmes de sa philosophie, et son testament de moraliste. Par une belle imprudence, après avoir bâti son monument, il a essayé d’y ajouter un étage : la dame aux camélias était l’entresol ; l’Étrangère porte le faîte ; si l’écrivain, dans quelqu’une de ses œuvres, a touché des vérités plus hautes qu’à l’ordinaire, c’est apparemment ici. Le duc de Septmonts, un mari, expire sous l’épée de Clarkson, et Clarkson ne le tue guère que par procuration de l’amant, ou, parlons mieux de l’auteur. Si le père Duval, si le comte de Lys est un deus ex machina suscité par le dramaturge, si le comte de Terremonde et Claude, si Olivier de Jalin, Ryons et Lebonnard sont ses instrumens, à plus forte raison Clarkson ; le drame, ici, est purement sympathique, et les intentions de l’écrivain ne sont pas douteuses. Il sauve l’amant et tue le mari ; — que dis-je ? Il envoie l’un en possession de l’héritage de l’autre, — comme s’il se