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protester contre elle au nom de la passion ; cette nécessité sociale qui écrase la courtisane, l’auteur de Fernande, vers 1845, la constatait, mais pour la déplorer au nom de l’équité : l’auteur de la Dame aux camélias la constate en pleurant sur sa victime, et, sinon par les paroles, au moins par le ton de son récit, il nous invite à mêler nos larmes aux siennes. Qu’il nous pardonne aujourd’hui d’avoir recueilli ces gouttes précieuses, tombées naturellement de ses yeux : c’étaient les premières et les dernières. Deux ans à peine s’étaient écoulés qu’il faisait représenter Diane de Lys : déjà il était sec ; non pas féroce, comme il fut plus tard, mais sec, impartial et même indifférent entre la nécessité sociale et la passion. La première de ces puissances a le dessus sur l’autre : l’écrivain, comme un scribe, enregistre froidement le fait.

Diane aime vraiment Paul ; par lui et pour lui, elle échappe à cette galanterie qui guette, dans la haute société contemporaine, la femme délaissée par son mari ; il la sauve de ces hontes frivoles, — avec quelle grâce, avec quelle décence, avec quelle dignité sans pédantisme, il faut le voir dans cette charmante scène qui termine le deuxième acte ; il l’aime vraiment, lui aussi, — avec quelle ardeur sincère, on peut en juger dans le troisième acte et dans le quatrième. Chacun d’eux a donné sa vie à l’autre, et, autant que nous pouvons le prévoir, ne la reprendra pas ; chacun s’est livré, sans arrière-pensée, l’une avec étourderie, l’autre avec gravité, mais tous les deux avec une générosité pareille. Cependant le mari intervient ; quels sont ses droits ? Ceux d’un mari, parbleu ! Sa qualité sociale suffit ; elle prévaut contre celle de Paul, qui n’est qu’un amant. Le comte de Lys a négligé sa femme ; il ne laisse qu’à peine entrevoir un caractère d’homme : qu’importe ? Il est le mari, cela répond à tout. L’acte de mariage en main, il entre dans le drame. Pour se faire suivre de Diane, quels moyens emploiera-t-il ? Elle-même l’interroge ; lui-même répond : « Tous ceux que la loi met en mon pouvoir. » Un peu plus loin, il argumente contre elle (encore la logique ! ) Il lui dit posément : « Notre mariage n’a pas été l’élan simultané de deux sympathies l’une vers l’autre. » Il discute sur son cas ainsi qu’un docteur : « Quel usage ferez-vous de votre liberté ? Vous en ferez à l’instant même un esclavage au profit d’une autre personne, etc. » Plus loin encore, devant sa femme et l’amant de sa femme, surpris en flagrant délit de fuite et de rapt, il établit nettement quelle est sa situation légale ; il leur donne une consultation comme un juriste pourrait le faire ; il oppose à Paul cet avis, comme ferait un conseil étranger dans son cabinet : « Monsieur, il est possible que la société soit mal faite, que vous ayez intérêt à réparer ses erreurs, qu’on ait eu tort de nous marier, madame et moi ; mais ce dont je suis sûr, c’est que je suis le mari de madame… Je vous donne ma parole d’honneur