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interrompue par un bruit plus prononcé : « La bataille a commencé ! » criâmes-nous tous. En une minute, nous étions habillés. Il était cinq heures et demie du matin. Nous parcourûmes les quatre redoutes. Tous faisaient leurs préparatifs pour la marche ; les cartouchières étaient pleines, les officiers avaient le revolver à la ceinture et quelques caissons de munitions s’ébranlaient. On n’entendait que les cris de : « Vive le Pérou ! Vive le commandant général ! A Surco ! » criaient les officiers et mille voix frénétiques répétaient ces cris. Nous attendions l’ordre de nous mettre en marche. Mais l’ordre n’arrivait pas et il était sept heures et demie du matin. Le feu du côté de San-Juan devenait de plus en plus violent.

« Sur la gauche de notre ligne surtout, deux batteries échangeaient un feu des plus nourris. Une des deux dut pourtant céder ; c’était maintenant à droite que le combat chauffait.

« Tout à coup, devant nous, à peu près à une lieue, nous voyons s’élever un épais nuage de fumée noire. San-Juan était la proie des flammes ! On ne se bat plus qu’à Chorrillos, pensâmes-nous tous en même temps. En effet, les corps de Davila, de Cacérès et une partie de celui de Suarez avaient lâché pied. Iglesias, abandonné, défendait héroïquement les positions de Chorrillos.

« Le premier fugitif que nous rencontrâmes dans le village de Miraflorès fut un simple soldat. « Tout va bien ! » nous répondit-il d’une voix défaillante, lorsque nous lui demandâmes des nouvelles du combat. Trois ou quatre blessés arrivèrent ensuite. Nous ne tardâmes pas à connaître la triste réalité. Le chemin était couvert de fugitifs qui se sauvaient dans le plus affreux désordre ; quelques blessés se traînaient, d’autres imploraient du secours ; les uns conservaient leurs armes, d’autres étaient désarmés, couverts de sang et les vêtemens déchirés ; c’était un spectacle navrant.

« Une longue file de gens arrivaient par la chaussée du chemin de fer ; des groupes de soldats traversaient les prairies en courant. On les appelait, mais ils n’écoutaient pas ; ils craignaient non pas les menaces, mais les balles. Ce n’était pas l’attitude d’une armée victorieuse. Un profond découragement s’empara de nous. Plusieurs compagnies des bataillons se déployèrent en tirailleurs et de petits détachemens de cavalerie s’échelonnèrent pour barrer le chemin de Lima aux fugitifs.

« Mais à mesure que le temps s’écoulait, le tableau de cette multitude qui fuyait épouvantée de toutes parts, devenait plus douloureux ; la cavalerie arrivait par bandes ; les mulets chargés de caisses de munitions, les canons et les mitrailleuses démontés ; des chevaux sans cavalier et courant ventre à terre ; des artilleurs, des colonels, des chefs de tout grade inondaient les avenues du chemin de fer et