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fait de toutes ces écoles révolutionnaires, jacobines, absolutistes, un seul parti de gouvernement. L’unité du parti républicain, voilà son œuvre, ajoutent-ils, elle est inattaquable. On pouvait croire ces choses dans ces années 1878 et 1879, où les groupes républicains, extérieurement unis, semblaient n’obéir qu’à une seule pensée et se mouvoir sous la même impulsion. Comment réprimer un sourire quand on les entend répéter aujourd’hui ? La confusion des rangs républicains n’a pas été causée par la mort de M. Gambetta, elle a éclaté avant sa chute. Cette confusion est son œuvre. Quand M. Thiers, M. Jules Simon, M. Jules Favre conseillaient et dirigeaient les républicains, il n’y avait parmi eux que trois écoles et souvent elles se confondirent. Sous la dictature de la persuasion, de M. Gambetta, le parti républicain vit fléchir sa discipline, commencer sa désunion, diminuer ses qualités morales. Quand M. Gambetta eut été dépossédé du pouvoir, il lui restait à compléter la désorganisation de la chambre. Sur les ruines du parlement il comptait rétablir sa fortune. Il travaillait à cette œuvre quand la mort le surprit. Singulière façon de constituer une école et un parti de gouvernement !

Et maintenant qu’on parle de son patriotisme ! Nous nous tairons sur ce sujet. Le patriotisme est chose de conscience. Nous avons le droit d’étudier l’histoire, nous n’avons pas le droit de sonder la conscience de M. Gambetta. Si nous y touchions, nous nous exposerions à calomnier M. Gambetta ou à calomnier le patriotisme. Des hommes qui hier trouvaient leur grande âme à l’étroit dans la légende de Jeanne la Lorraine travaillent, sous nos yeux, à construire une légende gambettiste. Il n’y a ni à rire ni à s’affliger de pareilles tentatives, tous les régimes en ont vu de semblables. La France ne consacre pas ce que l’on fait en dehors de son assentiment. Elle a des légendes trop pures pour ne pas se détourner avec une pitié dédaigneuse de tout ce que l’esprit de parti lui présente de souillé ou de mêlé. Le peuple qui possède Jeanne d’Arc, Bayard, et ces guerriers héroïques de la révolution, au manteau sans tache : un Desaix, un Marceau, a le devoir d’être très difficile sur le patriotisme. On n’y atteint qu’en s’effaçant devant la France et en se dévouant pour elle.


AMAGAT.