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M. Gambetta, au moins, par son activité fiévreuse, a rendu possible la résistance ; bonne ou mauvaise, la défense nationale est son œuvre, et on nous invite à la respecter sous peine de manquement au patriotisme. Il serait injuste, il serait criminel en si grave matière de contester l’activité du gouvernement de Tours. Mais que l’honneur en revienne à M. Gambetta, nous le nions. Lorsque le dictateur arriva, le 15e corps était depuis longtemps formé et discipliné sous la main ferme de d’Aurelles. Le 16e achevait son organisation sous le général Pourcet. Les trente mille soldats de Martin des Pallières se réunissaient à Nevers[1]. Ainsi les soixante-dix mille hommes qui combattirent à Coulmiers avaient été préparés à la lutte par d’autres que M. Gambetta. Ainsi les cent mille hommes qui, le lendemain du 9 novembre, auraient pu monter sur Paris avaient été réunis, organisés, disciplinés par d’autres que le dictateur. Dans les batailles en avant d’Orléans ne prirent part à la lutte que des troupes formées avant la dictature de M. Gambetta. Le 30 novembre, à Villepion, c’est le 16e corps qui combat. Le 1er décembre, à Loigny, c’est encore le 16e corps. Une partie seulement du 17e entre en action vers le soir. Les 2 et 3 décembre, sur la ligne Artenay-Orléans, c’est le 15e qui porte tout le poids. Le 28 novembre, à Baune-la-Rollande, le 20e corps seul s’était battu. Or le 20e corps (à ce moment, général Crouzat) n’était autre que l’ancien corps du général Cambriels, plus tard du général Michel. On l’avait porté très rapidement de l’Est dans l’Orléanais. Nous nous reprocherions beaucoup de diminuer l’activité du gouvernement de Tours, mais à ceux qui osent prétendre que M. Gambetta, c’est la défense, nous opposons les faits, l’histoire, la réalité. Son nom est inséparable de la guerre en province, puisqu’il a été ministre, dictateur, souverain maître des armées et de la nation, mais l’histoire vengeresse dira que son audace seule le fît notre chef et que son impuissance nous perdit.

Oui, avouent quelques hommes, il a débuté comme un démagogue ; oui, pendant la guerre, il s’est conduit comme un insensé ; oui, il a eu le tort grave de combattre la république de M. Thiers ; mais il a fait un retour sur lui-même, il a reconnu ses erreurs, il a réparé ses fautes, il a mis tous ses soins à discipliner les républicains et nous lui devons une reconnaissance éternelle pour avoir

  1. Voyez les livres de d’Aurelles, Martin des Pallières, déjà cités. Voyez le livre du général Pourcet, le 16e Corps. Voyez surtout le rapport de la commission d’enquête, n° 1416 F. Nous regrettons que M. de Freycinet, à qui revient l’honneur, tout le monde en convient, de ce qui s’est fait à Tours après l’arrivée de M. Gambetta, ait oublié de mentionner ce qui avait été fait avant lui et de rendre justice à ses prédécesseurs.