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siègent maintenant au sénat. M. Jules Grévy prendra la présidence de la chambre des députés. M. Thiers veut se tenir en dehors et au-dessus des partis, ainsi qu’il convient à l’ancien président de la république. La chambre est jeune, inexpérimentée, facile à surprendre. M. Gambetta croit le moment favorable pour la dominer. Il provoque une réunion plénière. Il tente de s’emparer du gouvernement des trois gauches, il échoue. Sa manœuvre est déjouée par la manœuvre opposée de M. Dufaure et de M. Jules Simon. Il ne le leur pardonnera pas.

Suivons l’enchaînement des faits. Le maréchal de Mac-Mahon a été très correct. Il a chargé M. Dufaure de constituer un cabinet. M. Ricard, M. Waddington, M. Léon Say en font partie[1]. C’est le centre gauche qui arrive aux affaires. Il y arrive avec la mission de protéger l’œuvre constitutionnelle du 25 février 1875. Le devoir de la chambre est de l’y aider ; c’est le devoir aussi de M. Gambetta. Les circonstances lui apportent, une fois de plus, l’occasion de servir utilement son pays, qu’il a tant agité, et la république, qu’il a compromise le 24 mai 1873. Il ne saurait oublier que la constitution est menacée, à la chambre même, par une opposition de 200 membres ; qu’au sénat, les trois fractions de gauche sont en minorité ; que le cabinet du 10 mars représente tout ce que la chambre haute, la présidence et la majorité du pays peuvent supporter de république. S’il était sincère dans son rôle d’opportuniste, il s’emploierait aujourd’hui à défendre contre les menées de la coalition ces lois constitutionnelles dont il vantait, il y a un an, à Belleville l’excellence et les bienfaits. Si l’opportunisme n’était pas une hypocrite formule sous laquelle il abrite ses ambitieux desseins et ses coupables menées, il seconderait dans la chambre l’œuvre, bien difficile en présence d’une formidable opposition, qu’entreprennent M. Dufaure et le centre gauche de pacifier le pays ; il la seconderait jusqu’au jour où la confiance générale du parlement et de la nation lui offrirait le pouvoir comme une récompense et non pas comme un fardeau. Mais sa personnalité ne s’effacera pas un instant. On lui a refusé la réunion plénière, la présidence des trois gauches, la direction de leur politique. M. Dufaure et, après lui, M. Jules Simon[2], éprouveront ses ressentimens. Le 16 mai sortit de ces conflits. Qu’on suppose le ministère Dufaure, plus tard le ministère Jules Simon, soutenus par la chambre dans leur lutte de tous les jours, et contre la majorité du sénat, et contre les intrigues de l’Elysée, qui eût osé tenter le 16 mai ? Les piqûres

  1. Cabinet du 10 mars.
  2. Cabinet du 2 décembre 1876.