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A Chambéry, au contraire, il annonce les questions politiques et sociales que le parti républicain résoudra[1]. Dans cette région du Dauphiné et de la Savoie, où l’ardente population des villes est imbue de préjugés révolutionnaires, il fait revivre, avec son éloquence capiteuse, les souvenirs de la convention[2]. Lorsque M. Gambetta jetait aux populations ces discours enflammés, il n’avait qu’un but : conquérir une situation dans l’assemblée, où on ne tolérait même pas sa parole ; dans son parti, d’où les hommes sensés, M. Jules Favre, M. Jules Simon, M. Grévy, cherchaient à l’exclure ; dans le pays, qui le considérait à juste titre comme un agitateur effréné. Il s’est trouvé des hommes pour appeler cette époque de sa vie un apostolat républicain : l’apôtre ne combattait que pour lui ; il ne luttait que pour son existence politique. Il sentait très bien qu’il était tombé si bas après la guerre qu’il ne pouvait se relever qu’à force d’audace et en étonnant ses adversaires mêmes. De là son extraordinaire violence contre l’assemblée, ses attaques chaque jour renouvelées contre M. Thiers, l’emportement auquel il se livre contre la candidature de M. de Rémusat, les soupçons injurieux qu’il insinue dans les réunions populaires contre le chef du pouvoir exécutif, à la veille même du 24 mai.


V

« Oui ! si le malheur voulait que le chef de l’état, par défaillance, par complaisance,.. se laissât glisser du côté de nos ennemis et que, de près ou de loin, il prêtât la complicité de son patronage à des prétentions insensées, je dirai plus, criminelles, il ne faudrait pas désespérer[3]. » Ainsi parlait à Nantes, le 16 mai 1873, une semaine avant la chute de M. Thiers, celui que des complaisans ont rangé parmi les fondateurs de la république et qui en a été jusqu’au 24 mai le plus violent agitateur. Il est bien peu d’hommes politiques qui n’aient prévu à cette époque le renversement de M. Thiers. M. Gambetta ne prévoyait que sa trahison. Cela prouve une fois de plus la clairvoyance de son esprit.

Le dictateur, retombé simple révolutionnaire, s’est donné le plaisir de passer en revue les forces radicales des grandes villes et de les faire défiler sous les yeux de M. Thiers. Il n’a pas compris, ou

  1. « Alors nous pourrons aborder les véritables questions politiques et sociales. » (Discours, t. III, p. 31.)
  2. Voyez surtout les discours prononcés à Albertville, Bonneville, Annecy. (Discours, t. IV, p. 141 à 186.)
  3. Gambetta, Discours, t. IV, p. 387.