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Agrandir le débat ; le considérer du triple point de vue de l’histoire, de la politique et de la morale ; faire revivre dans la salle d’audience la société romaine au temps de César, la société anglaise à la mort de Cromwell, la société française sous le directoire et dans les derniers jours de la république de 1850 ; se demander hardiment devant sa conscience et devant la majesté du juge si un homme, prince, soldat, politique, a le droit de sortir de la légalité pour sauver son pays de l’anarchie ou du despotisme et répondre résolument par l’affirmative ; puis, après avoir confondu dans une même flétrissure les excès du césarisme et les excès de la démagogie, opposer au rôle des Césars et des démagogues le noble rôle d’un Hampden en Angleterre, d’un Washington en Amérique, des constitutionnels de 1789 en France, et ne reconnaître la légitimité des révolutions et des coups d’état qu’autant qu’ils procurent à un pays ces grands biens qui contiennent tous les autres : l’ordre et la liberté, — voilà ce qu’aurait fait l’avocat de Delescluze s’il avait su se dégager des passions révolutionnaires et s’il avait senti s’agiter en lui les grandes aspirations de l’homme d’état. Mais ni l’instruction tout à fait insuffisante de M. Gambetta, ni son éducation pernicieuse à toute intelligence ne lui auraient permis d’atteindre à cette conception, en supposant que son esprit l’eût entrevue. Son plaidoyer ne pouvait être que ce brutal assaut de parole qui précède, dans la marche des événemens politiques, l’appel à l’insurrection.


II

M. Gambetta est désormais en possession de son rôle. C’est en pur révolutionnaire qu’il a parlé du 2 décembre. C’est en candidat révolutionnaire qu’il s’est présenté aux élections de 1869. C’est un programme révolutionnaire qu’il a signé ; un mandat révolutionnaire dont il est investi ; une œuvre révolutionnaire qu’il s’est donné la mission d’accomplir. On voit aussitôt que son rôle diffère essentiellement de celui des Jules Favre, des Picard, des Jules Simon. Ces derniers sont des républicains qui aimeraient à ne tenir la république que du consentement universel. La position prise par M. Gambetta l’obligera, l’heure venue, à ne pas reculer devant la violence, quand même il la condamnerait. « Je n’aime pas à mettre les foules en mouvement, » dira plus tard M. Jules Simon ; M. Gambetta sera tenu de précéder le mouvement révolutionnaire, au moins de le suivre, sous peine de déchéance ; il est le chef du parti violent, Ledru-Rollin des temps nouveaux, il sera l’apôtre et l’acteur