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la dernière campagne, c’étaient, entre ces opinions contraires, des conflits incessans et que chaque incident faisait renaître ; et, de fait, la question se posait chaque jour plus nettement sous la forme d’une alternative plus étroitement serrée. Il fallait ou redoubler plus que jamais d’efforts et de vigueur, ou poser les armes en demandant grâce. Le traité de Worms en particulier (ce traité qui causait à Frédéric tant d’alarmes) rendait la situation de la politique française plus critique que jamais : car l’importante accession de la Sardaigne à l’alliance austro-anglaise pouvait jeter dans la balance des forces un poids décisif en menaçant nos provinces méridionales au moment où celles du Nord, naturellement très découvertes, étaient défendues par des forces à peine suffisantes. La gravité du péril était accrue par l’irritation même que l’Espagne avait ressentie d’un dénouaient qui trompait sa longue attente. Déçue dans ses ambtions maternelles au moment même où elle les croyait réalisées, l’ambitieuse Farnèse menaçait tout haut, si on ne l’aidait pas à obtenir réparation, de se jeter elle-même avec armes et bagages dans le camp du plus fort, sûre qu’elle était de faire payer cher une défection qui laisserait la France isolée au milieu d’un cercle de fer et, de feu.

Louis XV, très irrité aussi du mauvais tour que son cousin de Sardaigne jouait à son oncle d’Espagne, s’était montré dès le premier jour disposé à en tirer vengeance. On peut douter pourtant que la fierté blessée eût été un aiguillon suffisant pour l’émouvoir longtemps et le porter à des partis décisifs, si ce ressentiment n’eût été secondé et entretenu chez lui par de tendres et même brûlantes excitations. Mais Mme de La Tournelle veillait au poste où Noailles et Richelieu l’avaient placée et suivait fidèlement des conseils qui flattaient son orgueil. Si elle n’avait pas réussi à vaincre la répugnance du monarque indolent pour le travail et l’étude, elle avait au moins réveillé dans son cœur ce goût de la gloire et des combats dont le feu circule toujours, même quand l’ardeur en est latente, dans les veines d’un prince français. Très réellement, cette fois-ci, Louis XV avait conçu le désir de se montrer lui-même sur le champ de bataille à la tête de ses armées ; soit que l’orgueil de race dont il était nourri lui fit croire que sa seule présence ramènerait la victoire sous ses drapeaux, soit qu’il fût flatté en imagination de se montrer dans cette noble attitude aux yeux d’une mat-tresse bien-aimée. « J’en grille d’envie, écrivait-il au maréchal de Nouilles le lendemain même de la bataille de Dettingue… Si on veut manger mon royaume, je ne puis le laisser croquer sans faire mon possible pour l’empêcher. » Noailles, sans arrêter tout à fait ce généreux élan, — en laissant même voir qu’il prendrait en