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les importations et les pensions aux barbares, ou perdu au dedans par les enfouissemens de monnaies faits à chaque invasion nouvelle. Cette raréfaction des métaux précieux donnait au capital une prépondérance écrasante. Celui qui le possédait en usait comme l’ancien Romain : la grande industrie était encore l’usure. En trois ans, l’intérêt doublait la dette, et l’emprunteur, bien vite ruiné, abandonnait au créancier sa terre ou sa maison. Il ne pouvait en être autrement dans une société où, le crédit étant nul et le travail précaire, le pauvre devenait toujours plus pauvre et le riche, qui avait des capitaux disponibles, toujours plus riche. Hérode Atticus l’était assez pour pensionner Athènes tout entière ; Didius Julianus et Firmus, pour acheter la pourpre argent comptant ; Tacite, pour payer la solde de toutes les armées ; et Symmaque dépensait allègrement, aux fêtes de sa préture, deux mille livres pesant d’or. On voyait donc dans l’empire quelques fortunes colossales et, à côté, une extrême misère, c’est-à-dire le contraire de ce qui convient à une société bien ordonnée.

La nouvelle doctrine religieuse, réaction énergique et salutaire contre la sensualité païenne et l’égoïsme des grands, avait raison de prêcher la charité. Mais, au lieu de dire comme Septime Sévère : Laboremus, ce qui est le mot d’ordre de la société civile, elle enseignait que vendre son bien et en distribuer le prix aux nécessiteux était un des moyens de gagner le ciel. Ce fut souvent un gaspillage de la richesse, qui ne soulagea les pauvres qu’un moment et qui, loin de restreindre leur nombre, multiplia la fausse mendicité.

Enfin la population diminuait par les pestes et les famines, par les guerres civiles et les incursions des barbares, mais aussi par les prédications du nouveau clergé qui, s’imposant à lui-même le célibat, l’encourageait chez les autres et faisait supprimer par Constantin les avantages que le premier empereur avait réservés à la paternité féconde. Il semble même que la durée moyenne de la vie ait diminué au ive siècle : presque toutes les impératrices meurent jeunes, et les empereurs qu’on ne tue pas ne peuvent arriver à un grand âge.

Un prince enivré de pouvoir et d’adulations, des courtisans et des eunuques exploitant sa faveur, une administration qui avait déjà les mains rapaces des fonctionnaires orientaux, des cités appauvries, une industrie languissante, le désert gagnant de fertiles provinces et l’abaissement continu de ce qu’on pourrait appeler le recrutement social, sont des maux avec lesquels des états vivent misérablement, mais peuvent vivre longtemps. Les causes actives de la perte de Rome sont dans la politique funeste qui durant quatre siècles peupla de Germains les provinces frontières ; dans la force