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et non pas de l’existence d’ici-bas. La pensée de la mort est salutaire, excepté quand elle fait oublier de vivre. Les chrétiens ne s’inquiétaient point de toutes les servitudes qui avaient remplacé la libre existence des anciennes villes. Pour eux, la société romaine était « la grande prostituée » que leurs livres saints avaient condamnée. — Ils en fuyaient les honneurs ; ils ne voulaient pas en remplir les devoirs ; ses malheurs les laissaient indifférens, et comme ils ne voyaient pas dans les barbares des ennemis, il se refusaient à les combattre. Lorsqu’ils n’eurent plus à craindre la persécution, ils passèrent un siècle en aigres disputes sur leurs croyances, sans aucun profit pour l’ordre civil, et, durant ce siècle, les Germains arrivèrent. L’évangile avait fait des saints, il n’avait formé ni des citoyens, ni des hommes d’état. Pour l’empire païen, les chrétiens avaient été un élément de dissolution ; quand ils en furent les maîtres, ils ne surent pas le défendre. Le rôle social de l’église ne commencera qu’au moyen âge, alors qu’elle revendiquera, au milieu de la barbarie féodale, les droits de l’esprit ; qu’elle opposera l’élection à l’hérédité, l’étude à l’ignorance, la charité à l’égoïsme, l’équité à de brutales passions et, qu’à force de prêcher le perfectionnement des âmes, elle préparera les voies à ceux qui réclameront le perfectionnement des sociétés. Ces mérites, qu’elle n’a pas toujours gardés, elle les avait au IVe siècle, mais pour quelques individus ; le monde de ce temps-là n’en profita point. À ses fidèles l’église donnait une grande chose, l’espoir du ciel ; par contre, elle leur imposait une chose terrible, la peur de l’enfer. Le monde se peupla d’anges gardiens ; mais le malin rôdant partout, sous toutes les formes, empoisonna la vie. On eut des joies célestes et des souffrances morales qui provoquant, les unes et les autres, des macérations et des tortures volontaires, poussèrent dans la solitude, loin de la société active, les meilleurs, peut-être, de ceux qui avaient été appelés à l’existence.

Il faut encore, dans l’histoire de cette grande ruine, faire la part des conditions économiques de la société romaine.

Comme le trésor demande ses principales ressources à l’impôt foncier et que cet impôt a pour gage les biens et la personne des propriétaires, l’agriculture accablée laisse en friche des provinces entières : l’heureuse Campanie, qui n’a pas encore vu un barbare, compte déjà 120,000 hectares où ne se trouve ni une chaumière ni un homme. Les contributions indirectes avaient fait la richesse du Haut-Empire ; au IVe siècle, elles rendent peu, parce que, la vie industrielle étant immobilisée dans les corporations, le travail se ralentit, la production baisse et le commerce s’arrête. Les mines épuisées ne renouvelaient pas le numéraire dépensé au dehors pour