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perception de l’annone ou impôt en nature, même à la levée des recrues, lorsque le gouvernement en demandait, furent encore chargés de recouvrer l’impôt foncier payable en espèces, avec la condition menaçante qu’ils prendraient sur leur fortune pour combler le déficit quand il s’en produirait. À ces services d’état s’ajoutaient ceux qu’imposait la cité : administration financière du municipe ; entretien de ses édifices, des ponts et des routes ; célébration des jeux et des fêtes, acquisition du blé et de l’huile nécessaires à la ville et surveillance des distributions faites à prix d’achat ou à prix réduit ; hébergement des magistrats et des troupes de passage ; défense des intérêts municipaux en justice ou par devant le prince et, dans ce dernier cas, voyage pénible et coûteux ; en un mot, les innombrables obligations comprises sous les mots de munera personarum, qui devaient être personnellement remplies, et de munera patrimonii, qui imposaient des dépenses parfois considérables. Cette longue énumération prouve que toute la vie sociale de l’empire était dans les curies. De là deux conséquences qui se produisirent l’une dans le Haut-Empire, l’autre au IVe siècle : les curies sont-elles florissantes, tout prospère ; sont-elles dans la gêne, tout décline.

L’empire souffrit doublement du malaise causé par ses exigences : les villes s’appauvrissant, la richesse générale diminua ; et du jour où les curiales eurent à garantir la meilleure partie des revenus du prince, ils devinrent l’objet de son infatigable sollicitude. Le code Théodosien contient, à lui seul, au titre de Decurionibus, cent quatre-vingt-douze décisions qui ont pour but de faire entrer dans la curie et d’empêcher d’en sortir quiconque a du bien. Enchaîné à sa condition, le curiale ne put se faire ni soldat ni prêtre, à moins de laisser son avoir au corps qu’il abandonnait, et l’accès de l’administration impériale lui fut interdit ; une loi l’empêchera même d’arriver au sénat de Rome ou de Constantinople. De toutes ces mesures il résulta que le mouvement ascensionnel qui, aux deux premiers siècles, renouvelait, par un afflux de sang nouveau, le sang appauvri de la classe dirigeante, s’arrêta ; que, les fonctions publiques ne se recrutant plus d’hommes préparés à les bien remplir, l’empire perdit ses meilleurs auxiliaires et que la valeur morale de l’administration baissa. L’histoire de l’empire répète ainsi celle de la république : après les lois Liciniennes, l’avènement des plébéiens et la grandeur de Rome ; après les premiers empereurs, l’avènement des provinciaux et la prospérité de l’empire ; puis le refoulement des uns par l’oligarchie consulaire et celui des autres par le despotisme fiscal ; mais au bout de l’une de ces périodes s’était trouvé César, au bout de l’autre se trouvèrent les barbares.

Dioclétien et Constantin n’accomplirent pas une révolution poli-