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sister presque toutes les charges républicaines, de sorte qu’à juger sur les apparences, on ne voyait dans Rome qu’un magistrat de plus. « La terre fatiguée de discordes civiles, dit Tacite, accepta Auguste pour maître et les provinces saluèrent de leurs acclamations la chute d’un gouvernement débile qui ne savait réprimer ni ses magistrats avides ni ses nobles insolens. » Auguste partagea les provinces avec le sénat, mais le sénat n’eut pas un soldat dans les siennes, et, dans celles de l’imperator fut cantonnée une armée permanente de trois cent mille hommes. Une caisse, alimentée par de nouveaux impôts et dont Auguste tint la clé, garantit le paiement régulier de la solde et les avantages promis aux vétérans. Cette armée, établie sur la frontière, allait protéger l’empire contre les barbares et l’empereur contre les conspirations, jusqu’au jour où les soldats seront les conspirateurs.

À Rome, ce maître de vingt-cinq légions vit en simple particulier et ne semble occupé qu’à remettre l’ordre en tout ; dans les rangs, dans les conditions, dans les costumes ; il voudrait même le rétablir dans les mœurs et dans les croyances, quoiqu’il ne soit un modèle ni pour les unes ni pour les autres. Ce tribun perpétuel qui pacifie l’éloquence et rend le forum désert, veut une société de tenue décente, soumise à une sévère hiérarchie. Il classe et il divise. Il refait une noblesse sénatoriale, à laquelle sont réservées toutes les charges de l’état, et un ordre équestre qu’il partage en deux classes : les fils de sénateurs, héritiers nécessaires des privilèges de leurs pères, et les simples chevaliers à l’anneau d’or qui remplissent les tribunaux civils. La plèbe a ses nobles et ses vilains : ceux qui possèdent 200,000 sesterces, ducenarii, forment une quatrième décurie de juges et occupent les mille places de quarteniers ; ceux qui ne les ont pas tendent la main les jours de distribution, et sont relégués, les jours de fêtes, aux dernières places de l’amphithéâtre. L’argent fixe les conditions : il faut un cens déterminé pour être sénateur, chevalier ou ducenaire. Là même où il ne peut être question de la fortune, Auguste établit des distinctions, dans le droit de cité, par exemple, dans les affranchissemens et dans la loi pénale, laquelle ne met pas au même rang celui qu’elle appelle l’homme de rien et ceux qui pour elle sont les honnêtes gens, parce qu’ils ont la richesse. Ordinavit, dit le biographe d’Auguste : ce mot est toute la politique de ce révolutionnaire devenu conservateur depuis qu’il est arrivé, et qui rend à la société romaine le caractère aristocratique qu’elle semblait avoir perdu dans les dernières tourmentes. Un de ses jurisconsultes a écrit : « Le pauvre, humilior, ne peut être admis à porter témoignage contre le riche. » Mais cette noblesse d’Auguste, aristocratie d’argent, non de vertu,