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l’extension de la communauté romaine, fut même abandonnée. Les Italiens n’arrachèrent le droit de cité qu’après une lutte sanglante et, avant César, deux terres italiennes, la Sicile et la Transpadane, ne l’avaient pas encore.

Au-dessous de cette noblesse que Salluste appelle la faction des grands et au-dessus de la foule des déshérités, apparaît un élément très nouveau pour les Romains, les manieurs d’argent. Le sénat affermait les impôts et les travaux publics. Des hommes sortis des échoppes du commerce et des comptoirs de la banque, des entrepreneurs de construction, des munitionnaires d’armée, des membres de l’ordre équestre, retenus par le sénat loin des honneurs, se formaient en compagnies qui expédiaient leurs agens dans les provinces pour lever les contributions : ce furent les publicains. Ils ont été maudits et ils ont souvent mérité de l’être ; mais ils représentaient une chose très moderne et que nous ne trouvons pas mauvaise, la puissance du capital. Dans les dernières révolutions de Rome, ils joueront un rôle qui ne sera pas sans importance. Troublés dans leurs spéculations par la guerre civile, ils aideront César et Octave à rétablir l’ordre dans l’état et la sécurité dans les transactions.

Au milieu du IIe siècle avant notre ère, il n’y avait plus, à vrai dire, de république romaine ni de peuple romain. De bons citoyens essayèrent de reconstituer l’une et l’autre ; de ramener la liberté, en affaiblissant l’oligarchie ; de refaire une classe moyenne, en distribuant aux pauvres les terres publiques usurpées par les nobles ; de guérir la plaie du paupérisme, en obligeant les propriétaires d’employer sur leurs terres, au lieu d’esclaves, des ouvriers libres et, avec l’idée que les Romains se faisaient des droits de l’état, toutes ces réformes étaient possibles. C’est aux Gracques que revient l’honneur d’avoir entrepris la régénération du peuple par la propriété et par le travail, sans rien prendre aux riches qu’on n’eût légalement le droit de leur ôter. Les deux frères furent tués ; leurs amis, égorgés ; leurs lois, abolies ; mais, la réforme pacifique ayant échoué, l’ère des révolutions commença.

Les Gracques n’étaient cependant pas de vulgaires agitateurs ; ils appartenaient à la meilleure noblesse, et ils avaient eu pour amis, pour conseillers, quelques-uns des personnages les plus respectés. Dans le sein de l’oligarchie se trouvaient des familles vouées depuis plusieurs générations à la défense des intérêts populaires, comme l’Angleterre en a toujours eu, et des ambitieux, tels qu’on en a vu dans tous les temps et en tous les pays, qui, désespérant de faire leur chemin avec l’appui des grands, cherchaient à s’ouvrir la voie à l’aide du peuple. Les premiers, en voyant les provinciaux opprimés, les Italiens mécontens, une foule de citoyens tombés dans la