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loppement. Cette classe avait été le lest qui maintenait le navire en équilibre ; elle perdue, tout chancela.

L’armée avait changé ainsi que le peuple, non pas dans son organisation, mais dans son esprit. Comme il fallait suivre les consuls au fond des provinces et y rester dix ou vingt ans, le service militaire cessa d’être un devoir patriotique pour devenir une profession, et le soldat, au lieu d’être un citoyen armé, fut un mercenaire. Il sera donc aisé à ceux qui voudront renverser l’ordre nouveau de trouver dans la foule famélique qui encombre la ville des instrumens de sédition, et ces légions à vendre donneront aux généraux le moyen de bouleverser l’état. Au dernier siècle de la république, on voit des soldats de Marius et de Sylla, de Pompée et de César, on ne voit plus l’armée de Rome.

Ces conséquences ne furent pas les seules : la constitution aussi se modifia, tout en paraissant rester dans son ancien cadre. Le sénat avait naturellement attiré à lui le gouvernement de ce vaste empire, qui ne pouvait être régi par une assemblée populaire. Chargé de traiter avec les rois et les peuples, de distribuer les armées et les provinces, de fixer les tributs des nations et d’en déterminer l’emploi, il se trouva aussi haut placé dans l’opinion du peuple que dans la sienne, et un vieux jurisconsulte romain a pu dire : « Comme il était difficile de réunir le peuple, la nécessité fit passer au sénat le soin de la république ; tout ce qu’il décréta fut obéi. »

Ce nouveau sénat devint la citadelle d’où la noblesse née de l’union du patriciat avec les grandes familles plébéiennes dominait le gouvernement. Les nobles n’avaient plus à redouter l’opposition politique des tribuns ou la justice populaire des comices ; ils remplissaient toutes les places de la judicature et ils avaient annulé le tribunat en se le faisant donner par leurs cliens, qui remplaçaient au forum la classe disparue. Aussi avaient-ils tout envahi : les commandemens, dont ils interdisaient l’accès aux hommes nouveaux, les terres publiques, que leur livrait la connivence des censeurs, les petits héritages, ravis ou achetés au rabais à des propriétaires ruinés ; et ils amassaient ces fortunes colossales qu’ils se tourmenteront à dépenser en monstrueux plaisirs et en constructions insensées : vexant divitias.

Rome se trouva soumise alors à une oligarchie qui fut la troisième forme du gouvernement républicain. Son histoire est marquée par les exactions des Verrès et des Appius ; par la révolte des Italiens, des esclaves et des provinciaux ; par la guerre civile, les proscriptions et le bouleversement des fortunes ; enfin, honte suprême, il fallut réunir toutes les forces du peuple romain contre des pirates et des gladiateurs ! La politique intelligente de l’ancien sénat, pour