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que la bonne harmonie existe entre eux. C’est un devoir. Mais la perfection ne se rencontre nulle part, et si nous concevons un idéal, nous savons par expérience que toute règle a ses exceptions, comme il y a des taches au soleil.

Si, par des circonstances fortuites, cet accord vient à être troublé ; si l’ordre ne se maintient pas dans la famille, alors la loi autorise le partage des biens de la communauté, partage qui se fait par égalité entre tous les membres du sexe masculin. J’expliquerai plus loin pourquoi les femmes n’en profitent pas.

Cette organisation a des avantages incontestables au point de vue de l’assistance. Qu’un membre de la famille tombe malade, il reçoit aussitôt tous les secours dont il a besoin ; que le travail cesse pour tel autre de rapporter les ressources qui seraient nécessaires pour assurer son existence, la famille intervient aussitôt, soit pour réparer les injustices du sort à son égard, soit pour adoucir les maux et les privations qu’engendre la vieillesse.

Comme on le voit, c’est l’institution du système patriarcal tel qu’il florissait autrefois pendant la période biblique.

L’autorité appartient au membre le plus âgé de la famille, et, dans toutes les circonstances importantes de la vie, c’est à lui qu’on soumet les décisions à prendre. Il a les fonctions d’un chef de gouvernement ; tous les actes sont signés par lui au nom de la famille.

Le voyageur qui parcourt nos campagnes peut se rendre facilement compte de la véracité de ces renseignemens. Qu’il demande à qui appartient telle propriété qu’il désigne de la main, on lui répondra : C’est à telle famille. S’il examine plus attentivement encore ce qu’il désire savoir, il ira lire, sur les bornes qui servent à délimiter chaque propriété, le nom de la famille propriétaire.

Les choses se passent chez nous comme elles se passent en Occident après la mort. Dans les cimetières qui se trouvent aux portes des villes, on voit des tombes sur lesquelles sont écrits ces mots : « Sépulture de famille. » Là vont se réunir des frères qui souvent se sont à peine vus ; là vont dormir, côte à côte, des parens qui n’ont jamais pu s’aimer. Ils sont réconciliés dans la mort et leurs parts sont égales. Nous, nous commençons dès cette vie l’ouvrage que la mort achève sans contestations.

Chaque famille a ses statuts réglant les coutumes : c’est une sorte de droit écrit. Tous les biens que possède la famille y sont inscrits avec leur affectation respective. On croirait lire un testament. Ainsi, le produit de telle terre est destiné à créer des pensions pour les vieillards ; telle autre fournira la somme qui doit assurer les primes accordées aux jeunes gens après leurs examens. Les ressources qui servent à subvenir aux frais de l’éducation des enfans, celles qui constituent les donations aux filles mariées, en