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laquelle un certain nombre de journaux anglais combattent d’avance tout ce que pourrait tenter une conférence européenne pour étendre sa compétence au-delà ou en dehors des intérêts financiers. Ils veulent bien qu’on demande à l’Europe son adhésion ou son blanc-seing pour les nouveaux arrangemens financiers qui pourraient être jugés nécessaires ; ils ne veulent pas que les cabinets s’occupent de ce que l’Angleterre fait en Égypte. Ils sentent que là est le danger, il en est même quelques-uns qui ont entrepris la plus singulière, la plus acrimonieuse et la plus violente campagne contre la France, à laquelle ils attribuent toute sorte d’arrière-pensées astucieuses et de desseins secrets contre la domination anglaise en Égypte. Peu s’en faut que la France ne soit signalée tout simplement comme préparant quelque expédition clandestine pour supplanter l’Angleterre sur les bords du Nil. C’est là ce qu’on peut appeler se battre avec des fantômes. Il a été sans doute un temps, qui n’est pas si lointain, où la France a partagé avec l’Angleterre la direction des affaires de l’Égypte, et le règne de cette direction partagée n’a été ni infructueux, ni défavorable. Peut-être la continuation de cette action commune des deux puissances, si elle eût été possible, eût-elle été avantageuse pour tout le monde, pour l’Égypte, pour l’Angleterre elle-même aussi bien que pour la France, qui a de si vieilles traditions dans la vallée du Nil. Peut-être l’accord actif des deux pays n’eût-il pas été de trop pour tenir tête à ces crises qui se sont succédé en s’aggravant depuis deux ou trois ans. Dans tous les cas, ce n’est plus là que du passé. L’Angleterre est allée seule en Égypte, nos gouvernemens n’ont pas voulu la suivre, et c’est une puérilité de supposer aujourd’hui que la France chercherait à ressaisir subrepticement une part de prépondérance à laquelle elle a renoncé. Les journaux anglais, qui, dans une recrudescence de jalousie au moins singulière, voient l’ambition française partout, peuvent se tranquilliser. il ne se prépare sûrement dans nos ports de la Méditerranée aucune expédition prête à cingler pour Alexandrie, et notre petite armée du Tonkin, quand elle reviendra en France, si elle revient de sitôt, n’est pas destinée à s’arrêter dans l’isthme pour tenter de déloger l’armée anglaise campée autour du Caire. Ce n’est que par un criant et périlleux abus de polémique qu’on peut représenter la France comme attendant le moment de se précipiter sur l’Égypte, au risque d’une guerre avec l’Angleterre et d’une conflagration universelle ; mais si la France n’a aucune intention hostile ou jalouse, — et le cabinet de Londres le sait bien, — si elle ne songe ni à revenir sur des faits accomplis, ni à créer des embarras pour l’Angleterre, elle ne peut pas cependant rester indifférente pour tout ce qui se passe en Égypte. Elle a d’autant plus le droit de s’en occuper que ses nationaux sont partout dans la vallée du Nil, que les Français ont la plus