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Ces fêtes de Cahors, qui viennent d’être pour un instant une occasion nouvelle de discours, d’ovations, d’apothéoses posthumes, ne sont point à parler franchement sans paraître quelque peu disproportionnées, et elles ont été de plus accompagnées de quelques circonstances ridiculement choquantes. Assurément, s’il ne s’agissait, pour une ville, que de consacrer, sous une forme simple et sérieuse, le souvenir d’un homme aux facultés brillantes, à la destinée incomplète, il n’y aurait rien à dire. Ce serait une commémoration naturelle et touchante qui n’inspirerait que de la sympathie. Après tout, M. Gambetta, dans sa courte vie publique, a eu un rôle exceptionnel et retentissant que peu d’hommes ont eu. Au milieu des effroyables malheurs d’une guerre néfaste, il a eu cette fortune singulière de se trouver tout à coup le chef improvisé de la défense nationale, et il a eu un moment le mérite d’espérer contre toute espérance, d’échauffer le pays de son feu, de ne vouloir rendre les armes qu’à la dernière extrémité. Comme orateur, il a eu certes des dons éclatans, la passion, la fougue, l’art de parler aux masses, la langue tribunitienne encore plus que la langue politique. Comme chef de parti, il n’a sûrement manqué ni de souplesse ni d’habileté, et, dans des circonstances difficiles, il s’est montré un tacticien d’opposition expert aux luttes de parlement. M. Gambetta, en un mot, a été un brillant partisan de la politique, entraînant par l’ardeur d’une nature expansive, séduisant par une certaine facilité de caractère et d’esprit, Nous ne prétendons pas le diminuer ; mais, en définitive, il a eu une vie plus bruyante, plus agitée que sérieuse et utile. S’il a un instant communiqué son feu à la défense nationale de 1870, il a aussi accumulé en quelques mois, dans cette guerre fatale, tant d’incohérences, tant de légèretés turbulentes, tant d’aveuglemens furieux qu’il n’a réussi qu’à aggraver les désastres de la France et à conduire son pays aux dernières extrémités. S’il a été par momens un chef de parti habile à profiter des faiblesses de ses adversaires, à conquérir le succès, il n’a certainement pas su se servir de la victoire et fonder, organiser ce gouvernement qu’il ambitionnait de représenter. Il n’a été au pouvoir que pour disparaître presque aussitôt, après un règne de trois mois sans puissance et sans éclat, il n’a jamais eu une vraie politique, ou du moins ce qu’il y a eu de plus clair dans sa politique s’est réduit à un mot d’ordre de persécution religieuse, il n’a rien fait, il n’a rien laissé après lui, et, pour tout dire, si M. Gambetta a eu des velléités, des instincts, des intentions, même, si l’on veut, des mouvemens généreux et intelligens, il n’est jamais arrivé à être un homme d’état sérieux et mûri portant dans les affaires publiques l’équité, la justesse, la modération clairvoyante, l’esprit de suite et de discernement. Il est resté un agitateur essayant de se transformer en homme de gouvernement, et c’est ce qui fait qu’il y a une si singulière disproportion entre la réalité de cette vie et toutes ces