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ce projet moyennant qu’elle promette au roi de Prusse, la garantie de la Silésie et quelque concours à qui peut être de ses intérêts ; il faut qu’elle paie 300,000 écus de subsides au Palatin, autant à la Hesse, un présent à la duchesse de Wurtemberg et des corruptions à sa cour, de même qu’à (la philosophique duchesse de) Saxe-Gotha. Mais comme il ne contient point que la France se mêle directement de tout ceci, il faut, pour éviter les dissipations de l’empereur, qu’elle mette le maréchal de Seckendorf en état de faire toutes ces dépenses au nom de l’empereur. Cette dépense assemblera une armée de soixante mille hommes dans le cœur de l’Allemagne et obligera, à coup sûr, les fanatiques de la reine de Hongrie à prendre des sentimens plus pacifiques et plus raisonnables, Si la France est capable de prendre un parti sensé, elle choisira à coup sûr celui qu’on lui propose et qui est en vérité l’unique à suivre pour elle dans la situation où se trouve ce royaume[1]. »

« Cette pièce, dit Podewils dans une remarque écrite en marge de ce document, m’a été remise par Sa Majesté, de son auguste main (höchsteigenhändig), et il m’a recommandé de bouche de la faire lire en ma présence au marquis de Valori, de lui en dicter ensuite le contenu, mais sous le sceau firmissimi silentii, et en l’avertissant que si, de la part des Français, la moindre indiscrétion était commise, tout serait désavoué par Sa Majesté. C’est ce que j’ai fait aujourd’hui[2]. »

La recommandation du secret était inutile, car il n’y avait, en vérité, aucun danger que Valori eût la tentation de se vanter d’avoir écouté sans sourciller une telle proposition, pas plus que de se montrer assez naïf pour aller plaider une telle cause à Versailles. Sans parler du ton cavalier de cette étrange pièce diplomatique, la moindre clairvoyance suffisait pour apercevoir que Frédéric poussait cette fois l’arrogance jusqu’à tout demander à la France, non-seulement sans lui rien donner, mais même sans lui rien promettre. Il ne s’engageait nullement à entrer en campagne à aucune époque ; persistant à se couvrir de la neutralité promise à Breslau, il ajournait toute action sérieuse jusqu’à la formation d’une ligue de princes dont l’accord n’existait encore que dans son imagination. En attendant, la France devait lui garantir la sécurité

  1. Pol. Corr., t, II, p. 480. — Ces mots entre parenthèse (la philosophique duchesse de) ne se trouvent pas dans cette note, mais dans une précédente (p. 435), où le même plan est exposé presque dans les mêmes termes. La duchesse de Saxe-Gotha était une princesse qui recherchait le bel esprit et correspondait avec Frédéric sur les sujets littéraires et philosophiques. C’est à elle que Frédéric recommande d’offrir ce qu’il appelle des corruptions.
  2. Ibid., in Not.