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Aristote a cité tous ses devanciers, et surtout Démocrite, dont il parle en maint endroit avec éloge ; il avait même discuté ses opinions dans un traité spécial qui est perdu. Nul, en effet, avant Aristote, se mérite mieux que Démocrite le nom de physicien. Il avait certainement disséqué beaucoup d’animaux ; au témoignage de Pline, il avait même écrit un livre tout entier sur l’anatomie du caméléon. Il avait constaté la présence des intestins chez les insectes et les animaux privés de sang, et Aristote aura tort de le combattre sur ce point. Il avait ingénieusement expliqué le phénomène de la respiration, cherché les causes de la différence des sexes, de la stérilité relative des mulets, de la chute des dents, il est le père de nombre d’observations, vraies ou fausses, accueillies et reproduites de confiance par toute l’antiquité. » Ainsi le lion est le seul animal dont les petits naissent les yeux ouverts ; les poissons de mer ne se nourrissent pas de l’eau salée, mais de cette portion d’eau douce que l’eau salée renferme ; les chiennes et les truies n’ont tant de petits que parce qu’elles ont plusieurs matrices ; en Libye, où les ânes sont de très grande taille, ils ne couvrent jamais que des jumens rasées, de tous leurs crins, car si elles avaient encore cet ornement qui les pare si bien, elles ne recevraient pas de tels maris : curieuse intuition, pour le dire en passant, du principe de la sélection, sexuelle, dont Ch. Darwin devait faire de si merveilleuses applications.

La médecine a des rapports si étroits avec la zoologie, qu’il est permis de s’étonner qu’Aristote n’ait pas nommé Hippocrate. Pourtant il a dû faire son profit de traités tels que celui de la Génération, de la Nature de l’enfant, de la Stérilité chez la femme. Il a dû surtout s’inspirer de l’esprit général de la méthode hippocratique, qui est une méthode d’observation. Mais cette observation semble être restée à la surface du corps humain. S’il faut en croire Sprengel, Praxagoras de Cos fut le premier qui disséqua des cadavres ; les Ptolémées permirent cette pratique, regardée jusque-là comme criminelle et s’y livrèrent eux-mêmes : Regibus corpora mortuorum ad scrutandos morbos insecantibus, dit Pline. Faut-il croire qu’ils allèrent jusqu’à autoriser la vivisection des condamnés à mort, et les pères de l’église n’ont-ils pas calomnié Hérophile en affirmant qu’il sollicita cet effroyable privilège et qu’il en usa fréquemment[1]

  1. « Hérophile, ce médecin, ou plutôt ce boucher, qui ouvrit nombre de gens pour surprendre les secrets de la nature, qui se fit l’ennemi de l’homme pour le connaître ; et encore en connut-il bien toutes les parties intérieures ? La mort change ainsi l’état de ce qui vit, et c’est une mort qui n’est ni simple ni naturelle, mais qui se promène et se déplace avec les artifices mêmes de l’opération. » Sprengel, qui cite ce passage de Tertullien, suppose qu’Hérophile faisait mourir auparavant les criminels, comme