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vagues. Il sut toutefois qu’elle avait été le siège d’une véritable éruption, avec projections de cendres, colonne de fumée et de vapeurs, en un mot, avec toutes les conditions habituelles. D’autre part, il y eut un brouillard sec, ce qui n’est autre chose qu’une accumulation dans l’air de parcelles solides extrêmement ténues. Elles y occasionnaient les accidens ordinaires, le soleil paraissait bleu, les crépuscules étaient rouges et se prolongeaient pendant une partie des nuits : il y avait donc là toutes les conditions que nous venons d’étudier. Personne alors n’eut la pensée de relier les deux phénomènes, mais ce qui prouve qu’ils étaient solidaires, que l’un était la conséquence de l’autre, c’est que l’éruption avait lieu en juillet, que le brouillard sec fut vu le 3 août sur la côte d’Afrique, le 9 à Odessa, le 10 à Paris et dans le midi de la France, le 15 à New-York, qu’il se propageait rapidement et que son centre d’origine était justement l’île Julia, comme le centre d’origine de nos crépuscules se trouvait naguère à Krakatoa.

En cherchant dans les annales des différens pays, on trouverait peut-être d’autres exemples de ce phénomène, qui est partout le même. Et maintenant que les observateurs sont prévenus, ils étudieront avec soin les dernières lueurs crépusculaires pour savoir quels changemens se produisent aux limites de notre atmosphère ; c’est une nouvelle étude qui s’impose à eux, et j’ai la pensée qu’elle ne sera pas stérile. Dans le passé, il est certain que la trop fameuse éruption de 79 avait la plus complète analogie avec celle de Krakatoa. Il est facile de la reconstituer. Le Vésuve était depuis longtemps un vaste cratère régulier, une vraie coupe antique dans sa forme et si parfaitement endormi que le sol en était cultivé. Son réveil fut terrible : une nuit lugubre s’étendit tout autour, une pluie mêlée de cendres couvrit Pompéi, moula les objets, même les corps des habitans ; cinquante mille personnes furent enterrées, une explosion finale démolit la montagne, dont une moitié seulement demeura debout, comme à Krakatoa, c’est la Somma ; l’autre partie disparut sous les eaux. Il est certain que des détonations furent entendues, que des variations de pressions se propagèrent dans le monde entier, que la mer fut soulevée, que le soleil se montra bleu, le crépuscule rouge, et qu’il y eut pendant longtemps des chutes de cendres dans les contrées voisines. C’est ainsi que la science vient en aide à l’histoire.

J. Jamin.