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repos complet. La suspension des poussières est donc un fait journalier, il ne peut nous embarrasser ; il faut bien l’admettre puisqu’il a été constaté.

D’ailleurs, cette suspension n’est point mystérieuse, on l’explique aisément. La résistance que l’air oppose à la chute des corps augmente avec leur surface : une sphère d’or tombe très vite ; mais quand sous l’effort du marteau on en a fait une lame mince et très étalée, elle se soutient et nage dans l’air comme le fait une plume. Une feuille de papier n’arrive à la terre qu’après de nombreux détours latéraux ; roulée en boulette, elle descend verticalement sans résistance. Or quand on pulvérise un corps, on en augmente la surface totale sans en changer le poids ; on la décuple en le divisant en mille parties ; on la rend cent fois plus grande si on en fait un million de morceaux, et quand ces morceaux arrivent à un degré suffisant de petitesse, ils n’ont plus assez de poids pour déplacer l’air et tomber. M. Preece donne une autre raison. Les déjections volcaniques, quand elles sortent du cratère, partagent l’électricité de la terre, qui est négative et qui les repousse ; elles emportent cette électricité dans des hauteurs si grandes que le vide y est presque complet et elles la gardent indéfiniment suivant les expériences de M. Crookes. Alors la répulsion continue de s’exercer et empêche la chute pendant un temps considérable.

La deuxième objection porte sur la difficulté d’expliquer la dissémination des poussières sur toute l’étendue de la terre. On a invoqué des courans supérieurs que l’on ne connaît pas, mais qu’on suppose exister. Suivant moi, le mécanisme de ce transport est plus simple ; au moment où elle s’élève, la colonne volcanique partage de l’ouest vers l’est le mouvement de rotation de la terre, mouvement qui lui fait parcourir à une latitude moyenne un cercle de 40,000 kilomètres en un jour. Cette vitesse, elle la conserve même quand elle a été lancée, même si elle est parvenue à 200 kilomètres ; mais comme le cercle qu’elle décrit alors est plus grand, elle ne le parcourt pas en entier en vingt-quatre heures ; elle tourne moins vite que la terre, et se trouve en retard de 1,200 kilomètres par jour ; c’est comme si, par rapport à la terre, elle marchait vers l’ouest. Au bout d’un mois, le retard se trouve être de 40,000 kil. ou d’un tour complet. Si cette théorie est exacte, on a dû voir apparaître successivement le crépuscule rouge sur les divers points du parallèle de Krakatoa. C’est, en effet, ce qui fut observé. On le vit aux Seychelles, à Madagascar, au Cap, puis en Amérique, à Panama ; les journaux de bord le suivent dans le Pacifique ; il avait accompli le tour du monde. Quant à la diffusion latérale des poussières vers le