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Avant tout il faut parler tout haut de la liberté de l’Allemagne, que la reine de Hongrie veut opprimer. Il faut sonner le tocsin contre cette reine… Il faut faire là-dessus un carillon de tous les diables[1]. » Sonner les cloches à toute volée, c’était presque annoncer que les canons allaient partir.

On peut donc tenir pour assuré qu’à partir de ce moment la nécessité de rentrer en lice pour prévenir à temps le triomphe complet suivi du retour offensif de Marie-Thérèse ne fit plus doute dans l’esprit de Frédéric. Mais, avant de se découvrir, plusieurs précautions lui paraissaient indispensables à prendre pour sa sûreté personnelle, ce qui explique suffisamment qu’il ne se souciait pas de livrer prématurément le secret de ses desseins à la bruyante et vaniteuse inexpérience d’un négociateur tel que Voltaire.

En premier lieu, la prudence lui commandait, au moment d’aller braver au sud de ses états un ennemi toujours redoutable, de commencer par préserver ses derrières de toute atteinte du côté du Nord, et il croyait ne pouvoir obtenir cette sécurité qu’en se ménageant, sinon l’appui, au moins la neutralité bienveillante de la Suède et de la Russie. La paix conclue récemment entre ces deux puissances, dans des conditions très défavorables à la Suède, ne rendait que plus nécessaire de s’assurer des bonnes intentions de toutes deux, puisqu’on ne pouvait plus espérer de faire diversion à l’hostilité de l’une avec le concours de l’autre. En outre, le jour où il se hasarderait à rentrer en lutte avec la plus grande, la plus illustre, la plus allemande (si on ose ainsi parler) des puissances du saint-empire, il ne voulait plus, cette fois, être le seul parmi les princes allemands à soutenir le choc. Le temps n’était plus où, ne respirant que l’audace de la jeunesse et n’ayant, en fait de réputation, que tout à gagner et rien à perdre, il s’était lancé en avant sans appui, sans allié, à la garde de Dieu et de son épée, au milieu de la surprise et du blâme universels, au risque de n’être plus le lendemain, si la fortune le trahissait, qu’un aventurier malheureux. En possession maintenant d’une renommée qui faisait l’orgueil de l’Allemagne, fixant les regards de toute l’Europe, de telles équipées ne pouvaient plus lui convenir. S’il devait reparaître sur les champs de bataille, il prétendait que ce fût à côté et pour la défense de l’empereur légitime et entouré d’un cortège de princes dévoués comme lui à la cause du droit. Son projet de faire lever officiellement par la diète une armée d’empire proprement dite avait échoué devant l’impossibilité de mettre cette vieille machine en mouvement et ne pouvait, à son grand regret, être repris. Mais, au moins, on

  1. Pol. Corr., t. II, p. 439-440. — Frédéric à Podewils, 6 et 7 octobre 1743.