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qualités des chefs de marque, mais surtout celles des chevaux ; tous les seize y passent, avec leur robe et leur histoire, comme au début d’une chanson de geste. Anton de Alaminos, qui avait conduit les deux premières expéditions, était pilote-mayor, et fray Bartolomé de Olmedo chapelain. Les principaux lieutenans de Cortez, Christoval de Oli, Pedro de Alvarado, Sandoval, se dessinent en quelques traits significatifs ; ces personnages reviendront sans cesse dans le récit, avec leurs sobriquets, leurs montures, leur physionomie commune de demi-dieux, ce je ne sais quoi de naïf et d’épique qui les pose tout d’abord, dans la narration du chroniqueur, comme les rois grecs au début de l’Iliade ou les douze pairs de Charlemagne. — Le 10 février 1519, la messe entendue, les conquérans firent voile au sud.


III

Dès la première relâche, à la pointe de Cotoche, un hasard heureux fournit à l’expédition ce qui lui manquait le plus, un truchement. Un des Indiens capturés par Grijalva fit entendre aux Espagnols qu’il y avait, à quelque distance dans l’intérieur, deux esclaves blancs comme eux. Cortez envoya une mission avec des présens pour s’assurer de la chose et racheter les Européens s’il s’en trouvait. La mission ramena un esclave semblable aux Indiens et parlant avec effort l’espagnol ; cet homme était un clerc du nom d’Aguilar, lecteur d’évangile, qui s’était perdu dans une tempête depuis plus de quinze ans avec toute une troupe de colons de Saint-Domingue. Il conta comment les vents l’avaient poussé sur la côte inconnue ; ses compagnons avaient été sacrifiés et mangés, à l’exception d’un certain Guerrero, gardé comme lui en esclavage, puis libéré, et qui refusait de rejoindre ses compatriotes. Quand les envoyés de Cortez vinrent pour les délivrer, dit le chroniqueur, « l’Aguilar s’achemina vers son compagnon, qui se nommait Gonzalo Guerrero, qui lui répondit : « Frère Aguilar, je suis marié ; j’ai trois fils, et on me tient ici pour cacique et capitaine en temps de guerre. Allez avec Dieu ; pour moi, j’ai la figure tatouée et les oreilles percées. Que diraient de moi ces Espagnols s’ils me voyaient ainsi accommodé ? Et puis, voyez ces trois miens petits enfans : qu’ils sont jolis ! Par votre vie, donnez-moi de ces grains de verroterie verte que vous apportez, et je dirai que mes frères me les envoient de mon pays. » — Et mêmement l’Indienne, femme du Gonzalo, apostropha l’Aguilar et lui dit, fort en colère, en son langage : « Voyez donc un peu cet esclave qui vient appeler mon mari ! Allez-vous-en et ne vous mêlez point de bavarder davantage. » — Et l’Aguilar