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finale. — Là, comme partout, l’or appela le sang. La dernière scène de ce drame muet, c’est le choc des armes, la mêlée furieuse de ces hommes qui s’ignoraient tout à l’heure, qui ne peuvent se dire pourquoi ils s’égorgent. « À la vue de l’or et des cases de chaux et de pierre, nous ressentîmes grand contentement d’avoir trouvé une telle terre,.. et tandis que nous étions à batailler avec les Indiens, le clerc Gonzalez chargea les coffres et l’or, et les idoles, et les porta au navire… »

Bataillant ainsi avec les naturels chaque fois qu’on descendait à terre, les soldats de Cordova poussèrent leurs explorations jusque dans la baie de Campêche, à un pueblo appelé Champoton ; sur ce point, la rencontre fut si rude qu’ils laissèrent sur le terrain cinquante-sept des leurs ; ils durent se rembarquer sans parvenir à faire de l’eau et souffrirent terriblement de la soif. « Notre armada étant composée d’hommes pauvres, nous n’avions pas l’argent nécessaire pour acheter de bonnes pipes d’eau. » Le scorbut se déclara dans l’équipage décimé, on vira de bord et on revint à La Havane. En achevant le récit de cette première expédition, Diaz conclut mélancoliquement : « En somme, nous tous, les soldats, qui allâmes à ce voyage de découvertes, y dépendîmes tous nos biens pour revenir, blessés et pauvres, à Cuba, trop heureux encore d’être revenus et de ne pas être restés morts avec nos autres compagnons… Oh ! quelle pénible chose que d’aller découvrir des terres nouvelles et de la manière que nous nous y aventurâmes ! »

Ce nonobstant, notre chroniqueur repartait l’année suivante sur le vaisseau de Grijalva, avec sa confiance et son enthousiasme refaits à neuf. Comme on sent bien, dans ce style naïf, les perpétuel va-et-vient d’une âme de marin ! Lasse et dégoûtée au retour du voyage, elle n’aspire qu’au repos ; sitôt qu’on le lui donne, elle se gonfle à nouveau d’audaces et d’espérances, elle cherche une voile qui la porte à de nouvelles désillusions. Le repos bande son ressort, l’action le détend, et toujours ainsi. C’est l’ivresse de la mer, dure quand elle vous tient en réalité, douce quand elle vous reprend par le souvenir ; ressaisi par les vagues, le marin ne voit que les fatigues, les dangers, l’horreur et l’ennui du stupide élément : laissez-le à terre, qu’il passe dans un port, qu’il aperçoive une frégate balancée sous le vent, et tout son cœur repartira pour l’aventure, pour le rêve de glisser entre l’eau et le ciel, vers l’inconnu, vers les plages et les étoiles nouvelles. Mais pourquoi dire le marin quand il suffit de dire l’homme ? Elle n’est pas seule, l’ivresse de mer, elles ne sont pas seules, les frégates, à convaincre le cœur d’inconséquence, à le rouler sans cesse du dégoût au désir…

Le 5 avril 1518, Juan de Grijalva, commissionné par le gouverneur Velasquez, quittait La Havane avec quatre navires et deux cent