Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 63.djvu/120

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

aura jamais assez de places, assez de secours, assez de maternité pour eux. Il y en a tant qui souffrent, qui vaguent à travers les rues, qui volent, pour vivre dès l’âge de cinq ou six ans, qui, faute d’un peu d’aide « tournent mal, » qui auraient fait de braves gens si on les eût soutenus en temps opportun, que le premier devoir de la charité est de se tourner vers eux, de les défendre contre les tentations mauvaises, de les protéger contre eux-mêmes. Dans cette croisade en faveur de l’enfance près de défaillir, j’estime que des œuvres comme l’Hospitalité de nuit et comme la Société philanthropique peuvent revendiquer la mission de diriger vers une commisération supérieure cette masse charitable qui est à Paris et ne demande qu’à bien faire. Il suffit souvent de lui montrer le but pour qu’elle coure y déposer l’offrande qui amoindrit l’infortune et relève la volonté.

L’Hospitalité de nuit sait le nombre des enfans errans, égarés sinon perdus, qui viennent implorer une couchette dans ses dortoirs ; elle s’en préoccupe, elle cherche où les placer, elle se demande dans quelle maison ils trouveront la moralité et l’apprentissage qui leur sont indispensables, pour devenir des hommes de travail et de probité. Cette maison, pourquoi ne la fonderait-elle pas elle-même ? Trois nuits pour l’homme qui a besoin de repos ; dix ans, quinze ans, s’il le faut, pour l’enfant qui doit apprendre à marcher droit, à travers les coudes du chemin de l’existence. Il ne manque pas de bandes en France ; la Bretagne et le Berry offrent bien des emplacemens que les bruyères couvrent aujourd’hui, qu’il serait facile de convertir, à bas prix, en vastes établissemens que l’enfance vagabonde peuplerait bientôt et où elle recevrait, les enseignemens qui trop souvent lui font défaut dans les grandes villes. De son côté, la Société philanthropique, qui a déjà tant fait pour les tribus de la pauvreté, augmentera le nombre de ses dispensaires, afin de mieux attaquer et de vaincre plus sûrement le mal à son origine même, c’est-à-dire dans l’enfant. Elle sait aujourd’hui à quoi s’en tenir ; la quantité de pauvres petits malades qui se pressent aux consultations de la rue de Crimée lui a prouvé qu’elle avait été bien inspirée ; si elle mesure sa satisfaction aux services qu’elle a rendus par cette nouvelle fondation, elle doit se sentir en joie. La double action, l’action combinée que l’Hospitalité de nuit et la Société philanthropique peuvent exercer en faveur de l’enfance ; aurait un résultat précieux ; on verrait moins de malades dans les hôpitaux, moins de détenus dans les prisons, moins d’ivrognes dans les cabarets. Je sais bien que le vice et la maladie ne sont pas près de chômer, mais on peut en diminuer l’intensité ; ce serait déjà un inappréciable bienfait pour la civilisation. Il y a là de quoi tenter le grand cœur