Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 63.djvu/116

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

point douteuse. Le lit de camp de la rue Saint-Jacques n’a point de draps ; celui de la rue Labat est moins réservé et accorde un drap ; rue de Crimée, la couchette du lit de camp est semblable à celle des dortoirs, complète et munie de deux « linceuls, » comme disaient nos grands-pères, » On en est quitte pour brûler un peu plus de soufre ; mais, du moins, une pauvre femme peut quitter ses vêtemens et dormir dans le contact reposant de la toile.

Ouvriers pour la plupart, gagnant strictement leur vie, éloignés des hôpitaux du premier âge, qui sont situés rue de Sèvres et rue de Charenton, les gens du quartier ont tout de suite apprécié les bienfaits du dispensaire que l’on ouvrait à leurs enfans ; soins gratuits, médicamens gratuits, traitement gratuit, cela compte et vaut aux religieuses, lorsqu’elles passent dans la rue, un : « Bonjour, ma sœur ! » où il y a encore plus de gratitude que de politesse, Trois fois par semaine, les lundi, mercredi et vendredi, un jeune médecin, expert et paternel, le docteur Comby, vient prendre place dans son cabinet de consultations, dont l’antichambre est encombrée, de mères amenant ou portant les enfans malades. On distribue des numéros d’ordre afin d’éviter les altercations, car chacune de ces malheureuses voudrait entrer la première. Dans une salle voisine, deux religieuses sont en permanence, prêtes à faire les pansemens ; la supérieure est debout à côté du médecin, transcrivant « l’observation » et ayant sous la main les médicamens les plus usuels. J’ai assisté à la consultation, qui, commencée à midi et demi, ne s’est terminée que vers trois heures. Je n’étais pas seul ; M. le marquis de Mortemart était venu voir fonctionner ce nouveau mécanisme de son œuvre, auquel il attache, avec raison, une importance exceptionnelle. Je ne serais pas surpris qu’au cours des visites sa bourse se fût ouverte plusieurs fois.

Ce que l’on amène là, c’est l’accident, mais surtout le résultat. Je veux dire, que si les maladies sporadiques des enfans, la coqueluche, le muguet, viennent en quantité appréciable, le plus grand nombre des cas pathologiques soumis au médecin sont représentés par les scrofules et par le rachitisme. Blafards, arqués des jambes, voûtés des épaules, de paupières faibles et de chétive ossature, les êtres débiles que j’ai vus peuvent se retourner vers leurs parens et dire : « C’est votre faute ! » Ils ne ressemblent pas aux embryons noueux que j’ai regardés avec effroi dans l’infirmerie de la rue Lecourbe ; ils sont d’apparence humaine et seront des hommes, grâce aux soins qui les entourent à la maison Camille-Favre et les empêcheront peut-être de tomber dans la difformité. La plupart des êtres frêles et bouffis que j’ai entendus geindre pendant que le médecin les palpait sont les victimes d’une alimentation défectueuse ; on ne se doute guère du nombre d’enfans que le biberon