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certificat de mariage ; la Société philanthropique, qui, à ses débuts, spécifiait qu’elle ne s’occupait que des mères ayant des enfans légitimes, rejette aujourd’hui toute restriction de ses asiles. Elle sait qu’en repoussant la fille oublieuse de ses devoirs, elle frapperait l’enfant, qui, à coup sûr, est innocent et irresponsable ; elle prend l’une et l’autre, ne les sépare pas, et leur fait bonne place. Une salle spéciale porte le nom de dortoir des mères de famille. Il n’y a que la vertu sérieusement forgée pour compatir aux défaillances humaines. Ce dortoir est une création particulière ; il est le produit d’une rente perpétuelle fondée par Mme Hottinguer, qui par sa naissance appartenait à cette grande famille Delessert chez laquelle le bienfait est chronique et la charité permanente.

En dehors des pauvres créatures qui viennent de « La Bourbe, » qui vont y entrer, qu’on y a parfois refusées malgré des symptômes trop visibles, l’asile reçoit encore une autre catégorie de femmes dont le sort est digne de compassion. Ce sont celles qui sortent de chez la sage-femme à laquelle l’Assistance publique a donné cinquante francs. Il y a peu de temps, ces malheureuses étaient mises sur le pavé dès le neuvième jour ; actuellement on leur accorde douze jours pleins, encore ne peuvent-elles être congédiées qu’après examen et approbation d’un médecin. Neuf jours, c’était impitoyable ; douze jours, c’est bien peu ; après de telles souffrances et un si profond affaiblissement, regagner sa mansarde ou son grenier, descendre, gravir cinq étages, peut-être plus, pour aller à la provende, pour « monter l’eau ; » être obligée, lorsque l’on part en recherche de travail, d’emporter l’enfant qui est une cause de refus et que l’on ne peut abandonner seul, dans la chambrette, sans allaitement, sans surveillance et sans soins, c’est dur, c’est doubler sa misère et c’est souvent la rendre si implacable que l’on se décourage, que l’on pleure sans garder la force de lutter. Elles savent bien cela, les pauvrettes ; à cette heure, au lieu de rentrer dans leur taudis, elles arrivent dolentes et pâlies, à la maison de la rue Saint-Jacques, elles y restent pendant les trois nuits réglementaires auxquelles on leur permet souvent d’en ajouter quelques autres, et retrouvent par ce repos prolongé assez de vigueur pour faire face à la vie. A côté de ces infortunées, on voit les ouvrières sans ouvrage, les femmes de ménage qui chôment parce que leurs cliens sont partis, les convalescentes sans domicile, qui sortent de l’hospice du Vésinet, les étrangères sans ressources qui ne savent où aller coucher, et parfois une pauvre fille effarée, toute tremblante, qui vient demander un refuge où nul péril ne peut l’atteindre. Une nuit, bien après l’heure de la fermeture, on entendit sonner coup sur coup à la porte ; on alla ouvrir ; une jeune fille, de bonne