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nettoyer les dortoirs, qui ne veulent pas faire leur lit le matin, ou qui parfois font « une bonne farce » en y laissant un témoignage de leur passage.

Du 2 juin 1878 au 31 décembre 1883, l’Hospitalité de nuit a hébergé 146,238 malheureux ; si l’on décomposait en catégories les individus qui sont venus dormir sur les matelas de varech, on serait surpris de la quantité de professeurs, d’instituteurs, d’interprètes, de clercs de notaire et d’avoué, de journalistes, d’artistes dramatiques, de musiciens, de typographes, et même d’anciens secrétaires généraux de préfecture, que les trois maisons ont abrités. On peut affirmer avec certitude qu’il y a un tiers des hospitalisés au moins qui sont dignes du plus sérieux intérêt, dont la vie a été irréprochable et qui ont fait naufrage parce qu’ils ont été assaillis par les vents contraires. N’aurait-elle porté secours qu’à ceux-là, l’Hospitalité doit être encouragée, car elle a fait œuvre de salut. Elle ne se contente pas de les recevoir pendant trois nuits, de leur donner des bons de nourriture, elle les habille quand elle le peut ; à cet effet, chaque maison possède un vestiaire où l’on accumule les défroques et le linge « fatigué » que les personnes charitables envoient et que l’œuvre accepte avec gratitude. Vieux paletots, vieilles redingotes, vieilles vestes, vieux chapeaux, chemises de calicot, bottes ressemelées, souliers rapiécés, tout est réservé à de pauvres gens qui, du moins, auront un costume à peu près convenable pour se présenter chez les patrons et s’offrir au travail. Le faux col a dans ce cas une importance exceptionnelle, il donne un air propret à celui qui le porte et fait croire au linge. Les chaussures ne restent pas longtemps au vestiaire ; ainsi que disent les marchands, « c’est l’article le plus demandé, » car la plupart des pensionnaires arrivent marchant « sur les empeignes » quand il en reste. Il y a là une difficulté réelle ; la plupart des chaussures réparées que l’on doit à l’initiative de la charité sont trop petites ; on ne se doute pas de la dimension des pieds qui chaque soir franchissent le seuil des hôtelleries : il leur faudrait les bottes de sept lieues, qui étaient fées et s’allongeaient à volonté. Les dons ne suffisent pas ; les souliers sont un objet de nécessité première, et, l’an dernier, on a été obligé d’en acheter pour 807 francs[1]. Une fois chaussés, ils peuvent se mettre en course et aller chercher de la besogne. Y vont-ils ? Pas toujours.

C’est le matin, au moment du départ, que l’on reconnaît sans peine ceux qui veulent faire effort pour dompter la mauvaise

  1. Au cours de l’année 1883, l’œuvre a distribué 738 paletots, 743 pantalons, 883 chemises, 3,128 paires de chaussures et 3,702 menus objets d’habillement.