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de la chambre, M. Depretis a choisi comme candidat M. Biancheri, homme d’expérience, d’une autorité bienveillante et impartiale, qui a déjà présidé les débats parlementaires sous le règne de la droite. C’est la preuve que, si le président du conseil n’a pas voulu aller jusqu’à faire à la droite une certaine part dans ses combinaisons ministérielles, il tient cependant à lui donner des gages, à s’assurer le plus possible et plus que jamais une majorité composée des modérés de la gauche et de la droite. Avec quelques hommes de moins, avec quelques hommes de plus, il n’y a guère rien de changé à Rome. C’est le même chef, c’est la même politique intérieure et extérieure, avec ses garanties de modération relative, comme aussi avec ses embarras qui naissent parfois des circonstances, du mouvement des choses.

L’Italie, heureusement pour elle, est dans une situation où elle pourrait bien aisément éviter les embarras et où elle n’a que les difficultés qu’elle se crée, tantôt en poursuivant des alliances qui ne lui sont pas nécessaires, tantôt en ramenant, en laissant se réveiller ces affaires de la papauté qui sont toujours délicates. Où en est-elle pour le moment de sa politique extérieure, de ces profonds calculs de diplomatie auxquels elle a paru se livrer pendant quelque temps? Le ministre des affaires étrangères d’hier et d’aujourd’hui, M. Mancini, interpellé ces jours passés, au lendemain de la dernière crise, n’a sûrement pas répandu de bien vives lumières sur l’état réel des rapports de l’Italie avec l’Europe, sur les résultats des vastes combinaisons qu’on avait si complaisamment caressées. A vrai dire, M. Mancini est un ministre très optimiste; à ses yeux, tout est pour le mieux dans le monde. L’Italie a conquis et garde sa place dans la triple alliance, elle y figure au même titre que l’Allemagne et que l’Autriche. La rentrée de la Russie dans la grande alliance, dans l’intimité des deux empires du centre de l’Europe, n’a rien changé : c’est une garantie de plus pour la paix qu’on veut maintenir. D’un autre côté, les rapports intimes que l’Italie a noués depuis quelques années avec l’Allemagne et l’Autriche n’excluent pas, au dire de M. le ministre des affaires étrangères de Rome, les bonnes relations avec d’autres puissances, et M. Mancini s’est fait un devoir d’ajouter comme s’il avait à annoncer une bonne nouvelle : « Les nuages qui existaient entre la France et l’Italie se sont dissipés grâce aux intentions conciliantes qui ont été apportées des deux côtés dans les négociations qui ont eu lieu... » Voilà certes des déclarations rassurantes; au fond cependant, à travers les réticences de ces débats, il ne serait point impossible de démêler que le zèle pour l’alliance allemande s’est un peu refroidi au-delà des Alpes, que les résultats n’ont pas répondu à tout ce qu’on s’était promis. On espérait mieux, on a été un peu déçu, et tandis qu’il y a eu de ce côté quelque mécompte qu’on n’avoue pas, les rapports avec la France se sont améliorés. C’est un fait à recueillir.