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des communes, lord Hartington refusait très vivement de déclarer ce que le gouvernement se proposait de faire. D’un autre côté, dans un banquet récent, un membre du cabinet avouait que M. Gladstone était aussi affligé que surpris de la marche des affaires d’Égypte. Le moment est cependant pressant, car la situation de ces malheureuses contrées égyptiennes devient réellement de plus en plus périlleuse et la responsabilité de l’Angleterre est, de toute façon, engagée dans cette immense crise qui est, en grande partie, son œuvre. S’il ne s’agissait que de décider l’évacuation du Soudan, au risque d’abandonner ces régions du haut Nil à l’invasion désormais victorieuse du mahdi et de ses bandes, il n’y aurait pas de doute, la résolution serait déjà prise. L’Angleterre a essayé un semblant d’action militaire et diplomatique dans le Soudan. Elle a envoyé le général Gordon à Khartoum, le général Graham avec sa petite armée à Souakim, sur les bords de la Mer-Rouge. Elle a paru un instant vouloir déployer ses forces, elle n’a pas trop réussi dans les combats sanglans qu’elle a livrés aux bandes d’Osman-Digma; elle n’a pas persisté, et, aujourd’hui, elle semble impatiente de se retirer. Elle cherche un moyen, elle serait prête, s’il le fallait, à traiter avec le mahdi. Malheureusement, une retraite dans ces conditions ressemblerait à un désastre; en outre, ce n’est plus là maintenant qu’un des côtés des affaires égyptiennes, et tandis que le général Graham reçoit l’ordre de quitter Souakim, tandis que le général Gordon reste livré à lui-même à Khartoum, c’est dans la Basse-Egypte, c’est au Caire même que le danger apparaît sous une autre forme. La désorganisation envahit cette partie de la vallée du Nil. L’anarchie est à peu près complète dans le gouvernement comme dans le pays, et c’est l’Angleterre elle-même, il faut l’avouer, qui a singulièrement contribué à aggraver, à précipiter cette crise.

Le cabinet anglais a voulu sauver les apparences en laissant le pouvoir, une ombre de pouvoir au khédive; il a voulu, d’un autre côté, exercer un véritable protectorat, sans l’avouer, en mettant ses agens partout, en plaçant particulièrement au ministère de l’intérieur un de ses fonctionnaires, M. Clifford Lloyd, qui, sous le simple titre de sous-secrétaire d’état, s’est érigé en petit dictateur. La vérité est que M. Clifford Lloyd, appuyé sans doute par le représentant de l’Angleterre, sir Evelyn Baring, a voulu tout faire, dominer le gouvernement, le khédive, les ministres. Il a bouleversé l’administration des provinces sous prétexte de la renouveler et de la diriger. Il a voulu même publier des projets de loi de sa propre autorité, sans consulter le gouvernement. Il a si bien fait qu’après avoir forcé le ministre de l’intérieur à se retirer, il a lassé la patience du président du conseil lui-même, de Nubar-Pacha, qui avait été pourtant nommé pour suivre les conseils de l’Angleterre et qui a fini par donner un instant sa démission pour ne