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plus éprouvées sans les réformer, en confondant toutes les conditions de l’organisation publique. On ne fait que des lois décousues, sans autorité, éphémères comme la passion du jour, et dans cette expérience singulière à laquelle se livrent des législateurs brouillons, c’est la France qui est l’éternelle patiente; c’est la France qui finirait, si l’on n’y prenait garde, par n’avoir plus ni institutions, ni lois respectées, ni armée, ni industrie.

Assurément, s’il est un exemple pénible de ce qu’a de désastreux cette invasion des fanatismes de parti dans les affaires les plus sérieuses, les plus délicates, c’est cette triste grève d’Anzin qui se prolonge depuis cinquante jours déjà et dont on n’entrevoit pas la fin. Que les ouvriers d’Anzin, à l’origine, se soient crus en droit de réclamer au sujet de certaines conditions nouvelles de travail, ou au sujet de leurs salaires, et qu’ils aient cédé à la tentation de défendre leurs intérêts bien ou mal compris par ce moyen extrême d’une grève, cela n’a rien d’extraordinaire. C’était dans tous les cas une question à débattre entre la compagnie et les mineurs, et dans ses termes primitifs elle n’avait certainement rien d’insoluble ; mais il est bien clair que la question industrielle n’a pas tardé à disparaître par l’intervention des partis révolutionnaires qui se sont jetés sur cette malheureuse grève comme sur une proie, qui depuis cinquante jours font de ce bassin houiller d’Anzin le théâtre d’une sorte de représentation de démagogie. Réunions, prédications, excitations, menaces, on a eu recours à tout pour envenimer cette lutte, pour enrôler une partie de la population ouvrière fanatisée sous un drapeau de guerre sociale. Rien n’a été négligé pour laisser croire à des ouvriers faciles à abuser qu’ils n’avaient qu’à résister, qu’ils auraient raison de la compagnie, qu’ils contraindraient au besoin le gouvernement à déposséder les propriétaires de mines, à régler les salaires, et, par une aggravation de plus, ces déclamations n’ont pas été sans avoir quelque retentissement jusque dans le parlement. Le résultat est cette situation violente où l’on dirait que tous les efforts tendent à rendre les scissions irréparables, les transactions impossibles, où les ouvriers qui voudraient redescendre dans les mines sont exposés à être assaillis et où, en fin de compte, le gouvernement est obligé d’intervenir par la force pour le maintien de la paix publique, pour la protection de ceux qui veulent travailler contre les grévistes à outrance. A quoi cependant tout cela peut-il conduire? Il faudra bien que cette crise ait une fin, comme toutes les crises de ce genre, et alors que restera-t-il? Les agitateurs auront fait leur campagne et essayé leurs forces; il y en a qui se seront presque fait un nom! Le jour où ils ne pourront plus rien à Anzin, ils iront souffler la guerre sociale et chercher fortune ailleurs; ils se transporteront sur un autre théâtre; et les vraies victimes seront ceux qu’ils auront abusés en les excitant, en les poussant à une guerre ruineuse. Que la compagnie, pour son