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de détails qu’il traduit isolément avec exactitude et pittoresque, mais sans parvenir à dégager les traits principaux, ceux-là justement qui suffiraient à caractériser la physionomie du paysage : aussi tente-t-il rarement un grand tableau. Il l’a fait quelquefois, avec une extrême application, mais pas toujours avec bonheur. Son arrivée à Constantinople, par exemple, malgré la profusion des lignes et des couleurs, ou plus exactement peut-être à cause de cette profusion, reste un morceau confus. Après avoir lu les Souvenirs de Paris, qui sont divisés en grands chapitres, et où M. de Amicis semble avoir imité les procédés de nos romanciers contemporains, on n’a de la ville qu’une impression vague et même fausse en bien des endroits. La description des grands boulevards, par exemple, est toute factice, emphatique, cérébrale : « Là, c’est le peuple suprême, c’est la métropole de la métropole, le royaume ouvert et perpétuel de Paris auquel tout aspire et tend. Là, la rue devient place, le trottoir devient rue, la boutique devient musée; le café est un théâtre; l’élégance, du faste; la splendeur, un éblouissement; la vie, une fièvre... » Et les métaphores se succèdent pendant des pages : il y a « de grandes inscriptions d’or qui courent sur les façades des maisons comme les versets du Coran sur les parvis des mosquées ; » on passe sans interruption devant « les hôtels des princes et des crésus. » Nous sommes dans le Paris des hallucinations et des fièvres, dans le Paris conventionnel qu’ont mis à la mode les visions de certains héros de roman, et qu’il ne faut pas confondre avec le Paris de tous les jours, dont les agitations sont moins apparentes, dont les couleurs n’ont pas tant de crudité. En revanche, on retrouve en M. de Amicis un peintre de race, un miniaturiste charmant, dès qu’il enchâsse dans un cadre restreint une vue particulière, dès qu’il s’applique à une étude de détail. En Hollande, la disposition même du pays lui a fourni une succession presque ininterrompue de dessins d’une rare finesse; à Fez et en Espagne, il a réussi à prendre nombre de croquis agréables. Et, pour se rendre compte de la patience et de la sagacité du voyageur italien, il faut lire dans Constantinople le chapitre plein d’observations curieuses qu’il consacre aux chiens errans.

Mais si, dans les voyages, la multiplicité même des images qui se pressent devant ses yeux, des objets qui s’offrent à son observation, empêchent M. de Amicis d’abuser de sa facilité à voir pour trop regarder et de son abondance pour trop décrire, il n’en est malheureusement pas toujours de même dans ses nouvelles. Là, en effet, il est libre, il peut choisir un thème selon son goût et le développer comme il lui convient ; sa manière même de comprendre l’art d’écrire, son habitude de chercher dans la littérature un plaisir immédiat, l’empêchent de réagir contre les suggestions de son tempérament; aussi choisit-il presque toujours de tout petits sujets sur lesquels il exerce impitoyablement la minutie de son analyse. Les faits les plus simples