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pour écrire quelques-unes de ses meilleures pages : de même que les grandes émotions semblent lui être interdites, de même il n’est à l’aise que dans les cadres resserrés.

Si, dans ses récits de voyage, M. de Amicis met quelquefois sa sensibilité au service de son imagination, il procède inversement dans ses nouvelles, qui n’ont pas, à beaucoup près, le même intérêt. Il choisit de très petits sujets attendrissans, puis il les divise méthodiquement en très petits chapitres et il les traite avec un luxe inouï de détails sur un ton de perpétuelle émotion. C’est, par exemple, l’histoire d’un pauvre jeune homme, employé chez un avocat, qu’on accuse d’avoir volé un billet de 100 francs et qu’on met à la porte. Désespéré, il s’en va errer dans des jardins publics, s’assied sur un banc, sort de son carnet le portrait de sa mère et fait sur le verso le calcul de ses dernières ressources. Il égare ce portrait, qui, trouvé naturellement par les enfans de l’avocat, amène la réconciliation finale. Cette historiette, agrémentée d’un amour idyllique, remplit plus de cent pages bien serrées. De même, dans ses Scènes de la vie militaire, les soldats emploient le temps de leur service à s’attendrir, à pleurer et à faire de bonnes actions. Les ordonnances se dévouent corps et âme à leurs officiers, qui se dévouent à leurs ordonnances et adoptent en commun des enfans égarés. De temps en temps, une bataille vient verser un peu de rouge sur tout ce bleu; mais les combattans s’entretuent avec tant de douceur, de bonne grâce et d’aménité, ils meurent si gentiment dans les bras les uns des autres, ils se réconcilient d’une façon si touchante sous l’invitation pressante des boulets, que la guerre finit vraiment par paraître une bonne chose, — comme le reste. Et M. de Amicis peut, sans sortir de sa ligne habituelle, terminer la série des douze sonnets qu’il consacre à ce pathétique sujet par une rêverie innocente et consolante :

« Un jour viendra qui mettra terme à l’horrible querelle, — où la fraternité tarira, dans les nations, — ce fleuve aux tourbillons sanglans, — cette mer de larmes infinies.

« Mais les générations ainsi unies — se rappelleront, pieuses et respectueuses, — les massacres énormes, le sang, la valeur — auxquels elles devront leur vie plus facile.

« Et les drapeaux vénérés et saints, — souvenirs des époques passées, — seront célébrés par des chants.

« Et chaque nation construira un temple grandiose, — sur la façade duquel on écrira : Gloire à tous les morts des guerres humaines! »

En examinant dans son ensemble l’œuvre de M. Edmondo de Amicis, on remarquera qu’il n’a jamais entrepris un travail fatigant. Ses livres semblent s’être faits d’eux-mêmes. Ses voyages ne sont point des études approfondies sur les peuples qu’il a visités, et, sauf le Maroc, il a toujours choisi des pays où l’on est sûr de trouver les aises de la vie civilisée.