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le roi, celui-ci lui ayant promis de le faire pendre en entrant dans la ville, Jeannin, du rempart, lui avait répondu : « Vous n’y entrerez pas que je ne sois mort, et après je ne me soucie guère de ce que vous ferez. » Après le combat de Fontaine-Française, Henri IV, qui se connaissait en hommes, alla droit à celui-ci. « Est-il possible, balbutiait l’ancien défenseur de Laon, que Votre Majesté adresse des paroles si obligeantes à un vieux ligueur comme moi? » On connaît la réponse du roi : « Monsieur le président, j’ai toujours couru après les gens de bien et je m’en suis toujours bien trouvé. » En quelques années, Jeannin, façonné par son maître à la grande politique, était devenu le premier diplomate de l’Europe. Il négociait successivement avec Mayenne pour l’amener à composition, avec le duc de Savoie pour préparer la paix de janvier 1601, plus tard avec les commandans dévoués à Biron pour leur persuader de mettre bas les armes et de recevoir le pardon royal ; il fut l’instrument de la médiation française soit entre Venise et l’empire d’Allemagne, divisés au sujet du Frioul, soit entre Venise et le cabinet de Madrid. Enfin, pendant les dernières années du règne, il dirigea complètement, avec une habileté consommée, les négociations de la France avec les Provinces-Unies, des Provinces-Unies avec l’Espagne, et peut être regardé comme le principal auteur des traités qui assurèrent l’indépendance de la Hollande. Le célèbre Heinsius, dans un transport de reconnaissance, lui déclara qu’il était « vraiment venu de Dieu » et les états-généraux remercièrent solennellement le roi de leur avoir envoyé un tel ambassadeur (22 juin 1609).

On ne se lasse pas d’admirer ce chef d’état qui, sans souci de ses propres injures ou de ses préférences secrètes, essaie de faire travailler en même temps tous les hommes de talent et de bien, d’où qu’ils viennent, à la grandeur du royaume, ne se laissant pas étourdir par ses victoires, ne se figurant pas un instant qu’il suffise à tout, sentant que les bons capitaines et les habiles politiques sont rares, qu’il faut les chercher partout et les prendre où on les trouve, sachant enfin qu’il remplirait mal son métier de roi s’il n’employait pas la France elle-même, avec toutes ses ressources, au service de la France. Il en vint à se demander s’il ne pouvait pas utiliser même les jésuites.

On leur avait imputé l’attentat de Chastel, qui était leur élève, et le parlement de Paris, par arrêt du 28 décembre 1594, les avait bannis du royaume en défendant à tous les Français d’envoyer leurs enfans étudier chez eux hors de France, sous peine d’être déclarés ennemis de l’état. Il est vrai que les parlemens de Toulouse et de Bordeaux en avaient autrement décidé. Cependant, en 1603, Clément VIII insista pour le rétablissement de l’ordre, et le roi s’y résolut.