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les Genevois contre les Espagnols : « Il y alloit, dit l’ancien général de la ligue, de l’estat et non de la religion. » Cormenin a dit des jacobins que Bonaparte les avait « éblouis de ses victoires et comme absorbés dans sa force. » Henri IV absorba de même a dans sa force » les principaux chefs de la ligue et les incorpora définitivement à la nation.

Il fallait aussi trouver des ministres. Henri IV conçut le dessein hardi de choisir indistinctement les plus capables et les plus modérés des deux partis, c’est-à-dire, à côté du calviniste Sully, d’anciens ligueurs, comme Villeroy et Jeannin. Ni l’un ni l’autre n’avaient trempé dans les excès de la ligue; ils avaient cherché plutôt à la contenir et à l’empêcher de tout livrer aux étrangers. Cependant quand le roi voulut nommer Villeroy secrétaire d’état, sa sœur et bien d’autres l’en dissuadèrent vivement, le lui dépeignant comme « l’ennemi formel et juré de tous ceux de la religion et au surplus très mauvais François et vrai Hespagnol. » Mais « il passa, dit L’Estoile, par-dessus toutes ces remonstrances » et s’en trouva bien. Villeroy avait « une grande routine aux affaires et cognoissance entière de celles qui avoient passé de son temps, esquelles il avoit esté employé dès sa première jeunesse[1]; » ce fut un excellent commis, discret, exact, appliqué : « Il croit, disait Henri IV, que mes affaires sont les siennes, et y apporte la même passion qu’un autre en travaillant à sa vigne. » On ne sait pas encore au juste, aujourd’hui, si ce ministre des affaires étrangères était pour ou contre l’alliance espagnole[2] ; mais il n’importait guère au roi, qui, lui laissant le détail des affaires, dirigeait par ses vues propres la politique extérieure. Peut-être même Henri IV, tout en négociant avec les protestans d’Allemagne, d’Angleterre et de Hollande, trouvait-il un avantage à faire conduire les négociations et surveiller des alliés quelquefois douteux par un secrétaire d’état bon catholique et qui avait figuré dans la ligue.

Le ligueur Jeannin, d’abord avocat, puis conseiller et président au parlement de Dijon, avait réussi à faire éluder en Bourgogne, après la Saint-Barthélémy, les ordres de proscription. Député aux états de Blois, il s’y était conduit en homme de sens et en patriote; envoyé par Mayenne à Philippe II en avril 1591 pour lui demander des secours, il avait frémi en entendant le roi d’Espagne dire couramment : « Ma bonne ville de Paris, ma bonne ville de Rouen, » et l’on avait intercepté au camp royal une de ses lettres, qui conseillait la paix. Toutefois, au siège de Laon, qu’il défendait contre

  1. Portrait de Villeroy par Henri IV. (Œconomies royales, ch. CXCI.)
  2. Voir Poirson, Histoire du règne de Henri IV, t. IV, p. 33, et M. Perrens, les Mariages espagnols sous Henri IV, p. 169.