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guerre eut été déclarée à l’Espagne, au commencement de l’année 1595, il renforça l’armée du Nord avec un corps important de gentilshommes et de soldats, levés en Normandie, se conduisit comme un héros, après avoir opiné comme un sage, dans le combat désastreux du 24 juillet 1595, engagé contre son avis, et fut assassiné après la bataille par les Espagnols, qui ne pouvaient lui pardonner d’être à ce point redevenu Français.

Quand il s’agit, en octobre 1594, de traiter avec le jeune duc de Guise, le fils aîné de ce Balafré qui s’était vanté d’être un Carlovingien et qui avait rêvé d’enfermer Henri III dans un monastère « comme Pépin, son ancêtre, avoit fait à Childéric, » celui-là même qu’un certain nombre de ligueurs avaient voulu, en 1593, marier à l’infante Claire-Eugénie pour le placer sur le trône des Capétiens, les conseillers du roi, au témoignage de l’historien de Thou, lui opposèrent une résistance encore plus vive. Guise lui apportait sans doute Reims, Fismes, Montcornet, Rocroy, Saint-Dizier, Joinville, toute la partie de la Champagne qui n’était pas encore soumise. Mais Henri lui octroyait, outre des sommes énormes, cinq abbayes pour ses frères, « l’entretènement » de toutes leurs compagnies de gendarmes, le gouvernement de Reims avec la capitainerie de Fismes pour le prince de Joinville et, pour lui-même, le gouvernement de la Provence « avecq l’autorité que Sa Majesté bailleroit à son filz, si elle en avoit eu ung et qu’elle l’eust voulu pourveoir dudict gouvernement. » Le chancelier Chiverny ne concevait pas que Henri IV envoyât Charles de Lorraine dans une province sur laquelle il croirait peut-être un jour pouvoir réclamer des droits de souveraineté, comme issu de la maison d’Anjou[1]. Mais le roi tint bon, et fit bien. Il embrassa deux fois le jeune prince et ne lui permit pas même d’excuser ses fautes : « Nous sommes subjects tous à faire des jeunesses, lui dit-il,.., je vous servirai de père. » Il savait bien, d’ailleurs, que le Balafré ne revivait pas dans son fils. Tout porte à croire que le quatrième duc de Guise fut, en effet, comme tant d’autres, subjugué par la bonhomie du roi. Ce fut dès lors un coup de maître que d’envoyer en Provence contre le catholique d’Épernon le représentant de cette grande maison de Lorraine, si chère aux catholiques. Guise fut le modèle des gouverneurs. Il abattit d’Épernon, chassa les Espagnols de Marseille, reprit Berre, assiégea Nice, mit les frontières en état de défense, surveilla fort utilement le roi d’Espagne et le duc de Savoie, découvrit et fit échouer en 1605 un complot tramé entre Bouillon et les Espagnols pour surprendre Marseille. Aussi lorsque

  1. Scellant les provisions du jeune duc, il écrivit de sa main au-dessous du sceau qu’elles étaient accordées par le roi contre son avis. (De Thou, 1. CXI.)