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Calais, Boulogne même à défaut de Calais, qu’elle ait abandonné ce roi dans les premiers mois de l’an 1596, c’est-à-dire à l’un des momens critiques du règne, intrigué contre nous à Constantinople, qu’elle ait enfin médité une double trahison à l’instant même où les négociations venaient d’être entamées avec l’Espagne, offrant à celle-ci de lui livrer les places hollandaises de Flessingue et d’Ostende, dont elle avait le dépôt, pourvu qu’elle reçût en échange et nous ravît Ardres et Calais, rien ne put détacher Henri IV de l’alliance anglaise. Il ne voulut à aucun prix que Philippe II pût écraser isolément, après s’être entendu avec la France, ses alliés protestans, et ne sépara pas un moment, malgré mille obstacles, sa cause de la leur. Plus tard, en 1601, c’est de concert avec Élisabeth qu’il commença de former, par l’intermédiaire de Sully, « le grand desseing, » c’est-à-dire le plan d’une guerre suprême qui devait fonder dans toute l’Europe non-seulement l’équilibre des états, mais la liberté des consciences. L’année suivante, quand un revirement s’opéra contre nous à la cour d’Élisabeth et qu’un projet de coalition fut débattu dans ses conseils, il n’ignora rien, mais feignit de tout ignorer, déjoua ce qu’il put de jouer et laissa patiemment s’évanouir des projets chimériques, assurant sa bonne sœur qu’il avait « toute créance en son amitié » et qu’il suivrait « doncques son bon conseil et son heureux exemple le mieux qui lui seroit possible. » Plus tard encore, soit par le traité de Hampton-Court, soit par des accords postérieurs, il fit garantir l’indépendance de la Hollande et régla le contingent des troupes que Jacques Ier devait fournir dans une attaque générale contre la maison d’Autriche ; enfin, pour sceller l’alliance des deux peuples, il arrêta, quelques mois avant sa mort, le mariage de sa seconde fille avec le prince de Galles. Qu’eût fait de plus Henri IV, calviniste, à moins qu’il n’eût cessé d’être Henri IV ?

Il y a près de nos frontières un petit peuple protestant qu’il faut charger de répondre aux fanatiques ingrats du protestantisme : j’ai nommé la Hollande, qui n’existerait peut-être pas sans Henri IV. Secouru par les Provinces-Unies dans la première période de son règne, il les défendit ensuite avec constance non-seulement contre les armées de Philippe II et de Philippe III, mais contre les tyranniques exigences ou les défaillances intéressées d’Élisabeth et de Jacques Ier. Sans les subsides qu’il leur fournit pendant dix ans et dont le chiffre énorme (près de 2 millions de livres par an) provoquait en 1607 les remontrances de son conseil, elles eussent probablement succombé sous les efforts continus de la grande monarchie espagnole. Enfin, le 23 janvier 1609, il les prit sous sa protection par un traité formel, s’engageant à leur procurer une paix