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chambres spéciales, dites « de l’édit, » à Paris, à Rouen, à Dijon et à Rennes, « tri-parties » à Grenoble, à Bordeaux, à Aix et à Montpellier[1], enfin leur remettaient huit places de sûreté pour six ans[2]. C’était beaucoup, eu égard à l’état des forces royales, aux rapports du prince avec le clergé, même avec la partie la plus modérée de l’épiscopat, à l’inquiétude et à la défiance de tous les catholiques. Les calvinistes ne tinrent aucun compte de ces embarras, se plaignirent de ce qu’on n’eût pas renouvelé en leur faveur l’édit de Beaulieu (1576), plus avantageux à la religion réformée, s’emportèrent contre divers traités particuliers que Henri IV était obligé de conclure avec les ligueurs, enfin rejetèrent l’édit de 1577 dans deux synodes nationaux et dans deux « assemblées, » tenues à Mantes et à Saumur. Au même instant, les cours souveraines, sondées par le roi, lui reprochèrent l’excès de ses concessions et firent pressentir qu’elles n’enregistreraient pas l’édit de Poitiers.

Henri III avait passé son règne à défaire ou à refaire ses traités avec les calvinistes, et chacune de ses variations l’avait laissé moins obéi, plus méprisé de tous. Henri IV défendit avec une remarquable habileté son programme de 1591. Il l’imposa d’abord aux ligueurs en réservant, dans tous ses accords avec les provinces de la ligue, sauf la Provence, et avec les villes de la ligue, sauf Amiens, Rouen et Paris, l’exécution de l’édit de 1577. Recevant les députés des églises à Mantes, en novembre 1593, il leur déclara n’avoir « rien plus à cœur que de voir une bonne union et concorde entre tous ses subjects, tant catholiques que de la religion... Je m’asseure, poursuivit-il, que personne ne m’empeschera l’effect de ce dessein : il y aura bien quelques brouillons et malicieux qui le voudroient empescher, mais j’espère aussi trouver le moïen de les chastier. » Il s’attachait donc à l’édit de Poitiers, mais en y ajoutant, pour ôter tout prétexte aux mutins, quelques articles secrets par lesquels il était pourvu à l’entretien des ministres, à la fondation de collèges protestans et dont l’un allait jusqu’à promettre le libre exercice du culte public dans toutes les villes de la domination du roi.

Les « brouillons et les malicieux, » qui menaient les autres, feignirent

  1. Les chambres de l’édit étaient composées de magistrats nommés par le roi, et choisis, sans acception de religion, parmi les membres des cours souveraines auprès desquelles elles étaient constituées, sur une liste communiquée aux délégués des églises et, s’il y avait lieu, amendée d’après leurs observations. Les chambres tri-parties se composaient de deux présidens, l’un catholique, l’autre protestant, de huit conseillers catholiques et de quatre conseillers protestans. La chambre de Montpellier avait été transférée à l’Isle-en-Jourdain et était devenue mi-partie, conformément à un article du traité de Nérac.
  2. Le traité de Nérac stipulait en outre que le roi de Navarre recevrait onze places de sûreté, mais pour un temps beaucoup plus court.