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faire ressortir l’aveuglement et l’ingratitude des uns et des autres en montrant comment cet admirable chef de gouvernement sut pratiquer soit envers les huguenots, soit envers les catholiques, une politique sans laquelle il n’y avait plus de place en France pour la royauté nationale, en Europe pour la nation française.


I.

Ainsi les huguenots protestaient. Ils avaient protesté, même avant la conversion du roi. Au camp de Saint-Cloud, en même temps que le catholique d’Épernon avait emmené sept mille deux cents soldats dans son gouvernement, La Trémouille s’était éloigné avec neuf bataillons de calvinistes. On accusait le Béarnais, — c’est d’Aubigné qui nous l’apprend, — non-seulement d’avoir laissé, après Contras, écraser les Suisses et les Allemands à Vimori et à Auneau, mais surtout d’avoir donné des bénéfices à des ligueurs, pendant que deux de ses capitaines mouraient de faim, et d’avoir vendu Oléron à Saint-Luc, ancien mignon de Henri III. On avait osé lui dire en pleine assemblée de La Rochelle, à la fin de l’année 1588, que le temps était venu de rendre les rois serfs « et esclaves, » et lui-même écrivait à Mme de Grammont que, « s’il se faisait encore une assemblée, il deviendrait fou. » Cependant, à La Rochelle, on l’avait encore élu protecteur des églises; mais, après son avènement, un an plus tard, au colloque de Saint-Jean-d’Angély, on proposa de le destituer et peut-être l’eût-on fait s’il ne l’avait pris de très haut, écrivant, dit L’Estoile, « à ceux de la religion qu’il vouloit bien qu’ils entendissent qu’il n’y avoit protecteur en France que lui des uns et des autres et que le premier qui seroit si osé d’en prendre le titre, il lui feroit courir fortune de sa vie. » Le duc de Bouillon n’en fit pas moins tous ses efforts, après l’abjuration, pour qu’on nommât protecteur, à la place du roi, l’électeur palatin. L’abjuration avait confirmé tous les soupçons, aigri les cœurs, ranimé les velléités d’indépendance politique : « Sire, dit d’Aubigné à Henri IV après l’attentat de Jean Chastel, qui avait, on le sait, fendu d’un coup de couteau la lèvre du roi, vous n’avez renoncé Dieu que des lèvres, il s’est contenté de les percer; mais quand vous le renoncerez du cœur, il vous percera le cœur[1]. » Il y a

  1. Le même d’Aubigné raconte ainsi à ses enfans son dernier entretien avec Henri IV. « 1610. Dont en prenant congé pour venir en Xaintonge y travailler, le roy ayant dit ces mots : Aubigné, ne vous y trompés plus, je tiens ma vie temporelle et spirituelle entre les mains du sainct-père, véritablement vicaire de Dieu, il (d’Aubigné) s’en revint, tenant non-seulement ce grand desseing (le projet de guerre générale) pour vain, mais encor la vie de ce pauvre prince condamnée de Dieu ; ainsi en parla-t-il à ses confidens, et dans deux mois après arriva l’effroyable nouvelle de sa mort. »