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LA
POLITIQUE DE HENRI IV

Lorsque Henri IV entra dans Paris, le 22 mars 1595, il lui restait encore presque tout son royaume à conquérir. Plus des deux tiers de la France obéissaient à la ligue. Il s’en fallait que le reste obéît au roi, puisque les huguenots détenaient depuis vingt-cinq ans des villes et des places dont ils nommaient eux-mêmes les gouverneurs. L’Espagne profitait de nos divisions pour lui disputer pied à pied le sol de son royaume; elle envoyait des troupes en Bourgogne et en Picardie, dans le Languedoc, en Bretagne, en même temps qu’elle intriguait à Rome et retardait par ses manœuvres l’absolution définitive de Henri IV. Le duc de Savoie, après nous avoir pris effrontément, en pleine paix, le marquisat de Saluces, continuait avec une persévérance infatigable la guerre qu’il avait commencée sans prétexte depuis cinq ans et cherchait par tous les moyens à s’emparer de la Provence et du Dauphiné. En 1589, à la mort de Henri III, il y avait déjà deux cent cinquante villages anéantis par le feu, neuf villes rasées, beaucoup d’églises démolies, cent vingt-huit mille maisons détruites, et, depuis cette époque, les villes et les campagnes avaient été, sur toute la surface du pays, rançonnées et saccagées par des soldats de toutes les nations et de tous les partis. Plus de cinquante mille paysans, exaspérés, venaient de se soulever dans le Limousin et dans le Périgord, refusant tout impôt, tout service public, se ruant indistinctement sur les châteaux et sur les chaumières, et l’on avait tout lieu de craindre que l’insurrection des « croquans »