Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 62.djvu/881

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’étude des doctrines bouddhiques supérieures. De toute façon, il est fait pour les goûter. Profondément pénétré de ses obligations envers ses frères, il a toujours mêlé la religion aux moindres actes de sa vie; il professe l’horreur et le mépris de l’égoïsme et possède la plus belle des qualités humaines, cette sympathie large et puissante qui s’étend à tout ce qui respire; enfin il a naturellement des tendances mystiques, s’entretient en rêve avec son étoile et tombe parfois dans des crises cataleptiques pendant lesquelles son esprit est emporté vers ce qu’il croit être la vision de l’avenir. L’amour qu’il ressent pour Catherine Westonhaugh commence ainsi. D’une profonde rêverie dont elle est l’objet, il passe à une sorte d’extase qui la lui montre endormie. Tout à coup la légère vapeur de cette haleine virginale semble se condenser et prendre la forme aérienne de la charmante créature qui s’envole, en jetant à Isaacs un regard sublime de confiance, d’amour et de joie, vers l’étoile qu’il a si longtemps nommée la sienne. Cette étoile, elle la lui montre du doigt avant de s’élever dans l’infini, d’abord lentement, puis avec une rapidité vertigineuse.

— Je bénis Allah, qui m’a donné de voir qu’elle a une âme aussi bien que moi-même, dit Isaacs au réveil, car j’ai contemplé son esprit face à face et j’y crois.

Le magnétisme est bien connu des brahmines et pratiqué par eux. Conduit-il les frères du Thibet à lire vraiment dans la pensée de leur interlocuteur et même dans l’avenir comme dans un livre ouvert? A moins de nier la réalité du personnage de Ram Lal, nous sommes forcés de le croire. Ram Lal met Isaacs en garde contre cette funeste chasse au tigre, d’une façon trop ambiguë, il est vrai, pour que le danger imminent soit conjuré, il prévoit qu’une ruse perfide du maharajah de Bathopoor accompagnera la reddition de l’émir afghan Shere-Ali, mais la simple expérience de la fièvre des jungles et du caractère indou suffit peut-être, dira-t-on, à lui dicter ces avertissemens. C’est la grande habileté de M. Crawford de nous laisser flottans entre le possible et le merveilleux sans rien conclure. La scène étrange qui nous fait assister à la délivrance de Shere-Ali donnera une juste idée de cette ingénieuse manière.

Griggs a été prié par Isaacs de le rejoindre en toute hâte au-dessous de Keitung, vers Sultanpoor, et nous l’avons suivi dans un rapide voyage sur des routes presque inaccessibles :

« Les Himalayas inférieurs nous laissent d’abord sous l’influence d’une singulière déception. Le point de vue est énorme, il n’est pas grandiose. La partie basse présente au regard une série de collines doucement ondoyantes et de vallons boisés où l’on aurait presque envie de chasser. Un certain temps est nécessaire avant que vous