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sous la lourde main de Luther ou de Calvin, à coup sûr, au premier instant de sens poétique et de loisir, je me fusse hâté d’en faire abjuration solennelle pour embrasser la belle romaine de tout mon cœur. »

Est-ce besoin du cœur ou simple jeu d’imagination? Il y a des deux peut-être. La Damnation de Faust se ressent de ce tour d’esprit. Au lieu de monter vers le ciel, le docteur est tout bonnement emporté par le diable comme dans la légende du XVIe siècle. La pensée est inférieure à celle de Goethe. Mais cette course à l’abîme, échevelée, sur un rythme de triple galop et ce formidable plongeon dans le gouffre de flammes au milieu d’un chœur satanique, tout cela est empoignant, irrésistible. Et lorsque l’enfer a saisi sa proie et cesse de mugir aux profondeurs, quelle surprise délicieuse! Comme on respire à cette douce et majestueuse remontée vers le ciel ! Des voix féminines d’anges résonnent pour demander le pardon de Marguerite : « Elle a beaucoup aimé, Seigneur ! » Et à ce chœur d’une tendresse virginale : « Remonte au ciel, âme naïve et pure ! » il nous semble entrevoir à travers des rangées de harpes séraphiques comme une blanche fumée d’âmes bienheureuses qui émergent dans le cercle lumineux sous l’hosanna des phalanges célestes. Berlioz n’a pas donné de preuve plus éclatante de la puissance et de la grandeur de son imagination.


IV.

Le troisième grand nom qui défraie le plus souvent les programmes des concerts du dimanche est celui de Richard Wagner. Les fragmens symphoniques de ses opéras, qui avaient le don d’exciter autrefois les contradictions les plus violentes, sont accueillis aujourd’hui par le public des concerts avec une curiosité ardente et applaudies avec cette passion vive et généreuse pour des choses nouvelles qui est un des traits saillans de notre tempérament national. L’opposition qu’ont rencontrée pendant longtemps les œuvres de ce musicien tient moins aux étrangetés de sa musique qu’aux aspérités de son caractère et à l’outrecuidance d’un orgueil qui voulait s’imposer partout en maître. Beaucoup de personnes n’ont pu lui pardonner ses incartades gratuites, ses rodomontades ultra-tudesques contre la France. Elles ont raison, et nous sommes du nombre. Mais une fois l’homme jugé, devons-nous ignorer à jamais l’artiste et ses créations? Le patriotisme aveugle risque d’aller à contre-fin ; il lui arrive par exemple de bâtir un nouveau mur là où il faudrait peut-être percer une fenêtre. Il faut en prendre notre parti, la nature a tous les caprices. Elle a voulu pour une