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Quant à la conception générale du sujet, il n’est pas sans intérêt de la comparer à celle de Goethe et d’en marquer la différence. Elle nous ramène à la grande question du trouble religieux et philosophique, qui, nous l’avons dit, ne fut pas étrangère à l’esprit du musicien. Goethe a fait du docteur Faust ce type de l’homme moderne, qui, rejetant la foi traditionnelle, cherche la vérité par ses propres lumières. Il a pour compère et pour antipode Méphistophélès, l’esprit du mal, le roi du monde et des mondains. Sa philosophie est la négation, la quintessence du roué et du sceptique, le génie de Mammon et de Satan mondanisé. Le hardi docteur propose au diable une gageure qui est le véritable nœud de la pièce. Faust sent en lui un désir si infini qu’il défie le démon et lui promet son âme à tout jamais s’il parvient à combler son cœur un seul instant, Méphisto se croit sur de son fait ; il accepte. Après avoir parcouru le cercle des joies et des ambitions terrestres : l’amour, la politique, l’art, Faust trouve le bonheur suprême en travaillant pour ses semblables, pour ses compagnons de lutte. Ce n’est pas le démon, c’est Dieu, c’est la divine sympathie qui a finalement apaisé son cœur. Le diable est joué, et Faust entre au ciel, un ciel d’un genre nouveau, qui s’étage vers les hauts sommets d’une planète plus avancée, aux rayons d’un soleil plus puissant. Près des cimes éthérées nous retrouvons les saints du christianisme dans leur plus haute activité et la Vierge bienheureuse, la Mater gloriosa, y représente la femme dans sa pureté et sa splendeur. Si Faust monte si haut et se transfigure dans cet autre monde, c’est par la rédemption de l’amour vrai, par l’âme de Marguerite, par celle qui l’aima malgré tout et jusqu’à la mort.

Cette fin inventée par Goethe est une libre interprétation de la légende, un élargissement de l’idéal chrétien selon une foi religieuse et philosophique que le poète s’est créée lui-même. Berlioz, nous l’avons vu, est un pessimiste et un incrédule. Il ne s’en cache pas; mais comme beaucoup d’athées qui le sont par paresse d’esprit ou par dégoût de l’existence, il a de ces retours de foi instinctifs qui surgissent du fond de l’âme humaine. Mais alors, ce n’est pas comme chez Goethe une haute vue métaphysique, ce n’est pas comme chez Beethoven un élan sublime d’énergie et de foi personnelle. Il revient à la foi naïve de son enfance ; elle lui tend son doux oreiller et il y couche pour un instant sa tête fatiguée. « Je fus élevé, nous dit-il, dans la foi catholique, apostolique et romaine. Cette religion charmante, depuis qu’elle ne brûle plus personne, a fait mon bonheur pendant sept années entières ; et, bien que nous soyons brouillés ensemble depuis longtemps, j’en ai toujours conservé un souvenir fort tendre. Elle m’est si sympathique, d’ailleurs, que si j’avais eu le malheur de naître au sein d’un de ces schismes éclos