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se faire assurément, lorsque tout alentour la pluie tombe à torrens, qu’un certain pavé restât sec. Aucune goutte n’a pour lui de destination précise, le hasard les disperse, il peut les porter toutes sur les pavés voisins ; personne ne le supposera sérieusement.

Telle est la puissance des grands nombres. Le hasard a des caprices, jamais on ne lui vit d’habitudes. Si mille gouttes tombent sur mille pavés, chaque pavé n’aura pas la sienne ; s’il en tombe mille millions, chaque pavé recevra son million ou bien peu s’en faudra. Si l’on jette deux dés trente-six millions de fois, le double-six, au lieu d’un million de fois, pourrait ne se présenter que cent mille et peut-être n’arriver jamais. Une telle exclusion soumise au calcul, d’après notre façon de parler, est déclarée impossible.

L’analogie va à l’identité. Considérons en effet, sur la place, pendant la pluie, un carré de 6 décimètres de côté. Partageons la base, aussi bien que la hauteur, en six parties, portant chacune un numéro d’ordre ; découpons le carré, par des parallèles aux côtés, en trente-six cases égales désignées chacune par les deux numéros placés en tête des bandes auxquelles elle appartient ; une case répondra à 6,6 ; une autre à 5,6 ; une troisième à 6,5 ; elles auront mêmes noms que les coups possibles avec deux dés. Chaque goutte de pluie tombant sur le carré représente un coup de dés. Le hasard, dans les deux épreuves, décide entre les mêmes points. À la fin de la journée, la pluie a également mouillé les trente-six cases, les dés ont amené les trente-six points également : où est la différence ?

Pour que rien ne manque au rapprochement, le même tempérament est nécessaire aux deux assertions trop précises. Il serait fort étrange que les pavés, quoique mouillés également, n’eussent pas reçu dans le cours d’une journée, quelques centaines de gouttes en plus ou en moins ; de même, sur quelques millions de coups de dés, quelques points se montreront, sans doute un peu plus, d’autres un peu moins souvent.

Les rapports sont certains, non les différences, et c’est malheureusement la différence qui ruine. On joue 100 parties à un jeu de hasard, l’enjeu est 20 francs ; il est peu probable, mais possible, que l’on perde 65 parties. La perte de 30 louis représente 30 pour 100 du nombre des parties jouées.

Au lieu de 100 parties, on en joue 10,000, une perte de 30 pour 100, c’est-à-dire de 6,500 parties, doit être tenue pour impossible. 5,150 parties perdues supposeront, d’après le calcul, une fortune aussi adverse que 65 sur une série unique de 100 parties ; la perte correspondante, 300 louis, représente 3 pour 100 du nombre des parties jouées.