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politique, qui, jusqu’ici, n’a pas de nom dans l’histoire ? On n’arrive qu’à ébranler tout ce qu’on touche, à compromettre le régime même qu’on se flatte de servir, et si les maîtres, les dominateurs du jour ne s’aperçoivent pas que tout est en déclin autour d’eux, que la lassitude et le dégoût se répandent de toutes parts, que la France commence à devenir singulièrement sceptique, s’ils ne voient pas cela, c’est qu’ils ont sur les yeux l’épais bandeau qui a si souvent aveuglé les majorités ignorantes et infatuées sous tous les régimes. Il n’y a pas à se payer de mots et de banalités. Que les hommes qui gardent encore assez de liberté d’esprit et une certaine indépendance de raison se posent sincèrement, froidement, sans parti-pris, cette simple question : Si ceux qui disposent de tout aujourd’hui en France se proposaient de ruiner définitivement le régime qu’ils sont chargés de représenter et de gouverner, que feraient-ils de plus ? Au premier abord, à ce qu’il semblerait, la plus vive préoccupation d’une politique sérieuse devrait être d’éviter tout ce qui peut semer le trouble ou l’inquiétude, de dégager les réformes ou ce qu’on appelle les réformes de tout ce qu’elles pourraient avoir d’agressif et d’offensant, de rallier les incertains et les neutres qui sont toujours nombreux dans un pays fatigué de révolutions. C’est précisément tout le contraire qu’on fait depuis quelques années. Quel est l’intérêt moral ou matériel qui n’ait pas été, qui ne soit pas encore menacé ? On dirait qu’il y a une sorte d’émulation bizarre pour fatiguer et tourmenter tous ceux qui ne demanderaient que le repos, pour faire des ennemis à la république dans toutes les parties de la population française.

Certes, tous les Français qui restent attachés à leurs croyances, à leur culte n’étaient pas nécessairement des ennemis irréconciliables du régime nouveau ; ils n’étaient pas difficiles à satisfaire, il n’y avait qu’à les laisser tranquilles : on a trouvé le moyen de leur montrer qu’ils n’auraient jamais la paix, que la république, c’était la persécution religieuse, et, à l’heure où nous sommes encore, on ne laisse échapper aucune occasion d’envenimer, de poursuivre cette triste querelle qu’on prétend couronner par la séparation de l’état et de l’église à la façon de M. Paul Bert. Si la république, à son début, avait trouvé des adhérens nombreux, c’était surtout dans les classes actives qui vivent du négoce, de l’industrie, du commerce, de toutes les entreprises. Qu’on interroge aujourd’hui ces classes : elles cachent à peine leur découragement, elles se sentent atteintes par la diminution du travail, par les conditions précaires de l’industrie, par les systèmes socialistes, par les syndicats indéfinis qui organisent la guerre des ouvriers contre les patrons. S’agit-il des finances publiques, du budget, on a tellement outré les dépenses utiles ou inutiles, les augmentations de traitemens, les dotations, les pensions dans des intérêts de parti, qu’on est maintenant réduit à se demander s’il faudra