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servi d’or davantage, et la circulation, au lieu d’être de plus de 3 milliards, ne dépasserait pas peut-être 1,500 millions, ce qui serait un chiffre normal ; avec le double étalon et la faculté qu’a la banque de rembourser ses billets en argent, le public, qui ne veut point de ce métal, prend tous les billets qu’on lui donne et les garde. Il agit comme s’il était sous le régime du cours forcé, et ce n’est pas lui qui arrêtera jamais l’émission. On ne doit compter pour cela que sur la prudence du conseil de régence. Ce conseil est, en effet, très prudent et composé d’hommes qui ne sont pas le moins du monde empiriques, mais leur prévoyance peut se trouver aux prises avec de grosses difficultés. Si l’on voyait, par exemple, la Banque de France élever le taux de son escompte lorsqu’elle a en apparence une encaisse de 2 milliards contre 3 milliards 200 millions de billets et qu’elle n’a pas encore atteint la limite nouvelle qui vient d’être fixée à son émission (3 milliards 1/2), le public se récrierait et trouverait qu’on lui impose des charges inutiles. Si, au contraire, la banque était débarrassée de son encaisse d’argent, qui est un véritable trompe-l’œil, alors on verrait plus clair dans la situation et les choses ne tarderaient pas à rentrer dans l’ordre. On aurait pu se débarrasser de ce métal lorsqu’il n’y en avait que pour 1,500 millions environ dans le pays, et qu’il ne perdait encore que de 2 à 3 pour 100. Aujourd’hui, il perd de 15 à 16 pour 100, et il y en a pour 3 milliards ; c’est grave.

Voilà ce qu’a produit notre imprévoyance. On a laissé s’amasser l’argent, et avec cet amas de l’argent, à la suite, est venu, par une conséquence naturelle, l’accroissement démesuré de la circulation fiduciaire. C’est un double malheur. La perte serait considérable sans doute si on voulait démonétiser l’argent aujourd’hui. Cependant, si l’on considère les difficultés contre lesquelles on se heurte en ce moment et qui se renouvelleront, il vaudrait mieux en finir une bonne fois pour avoir une situation plus nette et une circulation fiduciaire mieux établie. Et puis, quel intérêt avons-nous à garder ce corps mort, de 2 milliards d’argent au moins que nous possédons en trop, 1 milliard pouvant largement suffire pour les besoins de la monnaie divisionnaire? Il y aurait profit à l’échanger contre des marchandises utiles; cela vaudrait infiniment mieux pour la richesse du pays.


En résumé, la crise que nous subissons et qui durera plus ou moins longtemps, est née de beaucoup de choses : d’abord d’un excès de production, comme cela arrive presque toujours à la suite des années prospères et de grande activité commerciale; elle est née aussi des spéculations de toute nature qui ont eu lieu à Paris et ailleurs. Enfin, les incertitudes de la politique n’y sont pas non plus