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plus intéressante, il ne faut pas la nourrir de paroles vagues: on ne doit lui proposer, en fait de progrès, que des choses parfaitement réalisables; autrement, comme l’a très bien déclaré M. Jules Ferry à la tribune de la chambre des députés, on est un charlatan de popularité.

Quoi qu’il en soit, il y a une crise et il s’agit d’en rechercher la cause principale. Quand on dit qu’elle est le résultat de spéculations insensées et de dépenses folles qui ont eu lieu dans notre pays, depuis quatre ou cinq ans, et aussi peut-être d’un excès de production, on indique une cause secondaire; la cause première est ailleurs : elle est, suivant nous, dans l’abondance des instrumens d’échange.


II.

Notre circulation métallique, qui était, il y a quarante ans, de 3 milliards au plus avec 4 ou 500 millions de billets au porteur, monte aujourd’hui, d’après les évaluations les plus probables, à 4 milliards 1/2 d’or, 3 milliards d’argent et 3 milliards de billets[1] : c’est trois fois plus qu’il y a quarante ans. Je sais bien que, depuis cette époque, nos affaires ont beaucoup augmenté, mais il ne faut pas oublier que nous avons aussi avec les chemins de fer et la télégraphie électrique des moyens plus puissans de faire mouvoir nos capitaux. Au point de vue des échanges, 1,000 francs d’espèces métalliques rendent au moins autant de services que 3 ou 4,000 francs autrefois, et les billets au porteur circulent encore plus rapidement.

L’Angleterre ne possède que 3 milliards d’espèces métalliques et fait plus d’affaires que nous avec 7. S’ensuit-il que la France est plus riche que l’Angleterre en proportion de la monnaie métallique qu’elle a en plus? Évidemment non; cela indique seulement que l’Angleterre a recours davantage à un moyen de crédit qui donne à sa monnaie métallique une utilité plus grande. Ce moyen, c’est le chèque ou paiement par voie de compensation et de virement. Chaque jour, en Angleterre, des chèques sont tirés pour des sommes considérables de tous les points du territoire, et ils viennent se concentrer à Londres, où ils sont immédiatement échangés les uns contre les autres dans un établissement appelé Clearing House. Cette opération a lieu jusqu’à concurrence de 2 à 3 milliards par semaine ou de 150 milliards par an. Les grosses affaires se trouvent ainsi liquidées sans que la monnaie métallique intervienne.

  1. Voyez le Bulletin officiel de statistique, (du mois de janvier 1884, publié par le ministère des finances.