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et financière, c’est en grande partie à sa banque principale qu’elle le doit. En Russie, en Autriche, c’est le monopole qui règne aussi avec adjonction de billets émis par l’état lui-même. Nous n’en parlons pas parce que, dans ces deux états, malheureusement, existe encore le cours forcé, ce qui empêche d’apprécier à sa juste valeur la circulation fiduciaire. Seulement, ce qu’on peut déclarer avec assurance, c’est que, sans le monopole, les billets au porteur ne trouveraient guère de preneurs et seraient encore beaucoup plus dépréciés qu’ils ne le sont. En Italie, depuis l’unité, quatre banques d’émission se sont trouvées réunies dans une espèce de consortium, c’est un reste du passé. Mais une seule a pris une importance particulière, c’est celle qui a été établie à Rome et qu’on appelle Banque nationale ; la tendance aujourd’hui est même de n’en plus garder que deux, cette Banque nationale et le Banco de Naples. Les banques d’émission sont également à l’état de monopole en Belgique et en Hollande, et ces deux pays s’en trouvent bien. Enfin, en Angleterre, il y a une banque principale qui a seule le droit d’émettre des billets dans un rayon de 65 milles de Londres ; et, en dehors de ces 65 milles, la circulation fiduciaire n’a pas grande importance ; encore se relie-t-elle étroitement à la Banque d’Angleterre. Nous n’avons pas besoin de dire ce qui se passe en France : notre principal établissement financier jouit également d’un monopole et il a rendu de tels services sous cette forme, au moment de la guerre et dans d’autres circonstances, que le monopole est inattaquable. Il ne viendrait à personne aujourd’hui l’idée de demander le rétablissement des banques régionales qui existaient autrefois, ou quelque chose d’analogue. Seulement, comme il y a un revers à tout, le revers, chez nous, est que la circulation fiduciaire a pris trop de développement.

En 1869, pour ne pas remonter plus haut, la circulation fiduciaire de la Banque de France était de 1,356 millions, et l’encaisse de 1,259 : le découvert des billets était donc d’une centaine de millions. Aujourd’hui la circulation dépasse 3 milliards et l’encaisse oscille autour de 1,950 millions ; le découvert monte à 1 milliard 50 millions. Le nombre des billets au porteur s’accroît d’année en année. Mais, dira-t-on, du moment que ces billets circulent aisément, qu’ils sont acceptés comme monnaie courante par tout le monde et qu’ils seront certainement remboursés un jour, on ne doit pas s’inquiéter et il n’y a qu’à laisser faire. Malheureusement les choses ne sont pas aussi simples qu’elles le paraissent. Il y a dans l’extension de la circulation fiduciaire, même bien garantie au fond, des inconvéniens qu’on n’aperçoit point et qui n’en sont pas moins réels.