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Pétrarque tel que je le conçois, sans, avoir égard à autre chose que la vérité, sans me demander si sa figure en sortira diminuée ou agrandie. Telle qu’elle est, elle demeure assez grande pour durer dans les siècles. » Tous les Italiens devraient apprendre cela par cœur.

Enfin, le plus grand mérite de De Sanctis, c’est qu’en littérature, il n’était d’aucun temps, d’aucun pays, d’aucune église ; quelle que fût l’opinion d’un poète, il ne le jugeait que dans son œuvre et y découvrait aussitôt « ce poétique éternel (qui ne dérive d’aucune religion en particulier, d’aucune façon déterminée de contempler le monde, mais qui est la libre création du génie, la vie même que le génie insuffle à ses créations ; un poétique éternel et universel qui a produit chez tous les peuples civilisés d’impérissables monumens. » Cette suprême impartialité n’est pas donnée à tout le monde ; la plupart des critiques, avant de juger un écrivain, lui demandent son passeport ou sa confession de foi ; s’il ne pense pas comme eux, son écriture est mauvaise. L’excellent Settembrini, qui, lui aussi, a enseigné l’histoire de la littérature italienne, avait les papes en horreur et ne voyait qu’eux dans tous les mauvais livres ; il contestait le talent des auteurs qui étaient allés au Vatican. Que d’incorrections n’a-t-il pas trouvées dans le fameux hymne du Cinq mai, parce que Manzoni était catholique ! De Sanctis, au contraire, quoique fort peu orthodoxe, se mettait à genoux devant Manzoni. « Il comprenait pleinement les grands poètes, chacun dans sa façon particulière de regarder la vie et le monde ;.. il comprenait la conscience du moyen âge et la conscience moderne, la foi, le doute, le sentiment religieux :, la douleur universelle, l’épopée, le drame, la poésie lyrique, l’opposition et l’harmonie de toutes les formes, l’opposition et l’harmonie de tous les idéals. »

Ainsi parlait devant son cercueil un de ses élèves les plus chers et les plus distingués, le professeur Zumbini, recteur de l’université de Naples. De Sanctis en eut beaucoup d’autres qui tous ont gardé la passion des lettres : M. Pasquale Villari, le plus chaud défenseur de Savonarole, l’interprète le mieux renseigné de Machiavel ; le jeune La Vista, mort avant l’âge après avoir donné plus et mieux que des promesses ; et encore Camillo di Meis, Saverio Arabia, Agostino Magliano, Giuseppe de Luca, Enrico Capozzi, Achille Vertunni, Diomede Marvasi, Ferdinando Flores, Francesco Montefredine, Bruto Fabbricatore, Nicola Marselli, Lorenzo Greco, G. Cammarota, autant de noms qui mériteraient un article à part, sans compter tous ceux que nous passons, par ignorance ou pour ne pas trop allonger la nomenclature. On a dit que ces élèves n’ont pas continué la méthode du « professeur, » que chacun a suivi sa